Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je pourrois à ta vue, aux dépens de ta vie,
épouser d’un tyran l’horreur et l’infamie,
Et trahir mon honneur, ma naissance, mon rang,
1470Pour baiser une main fumante de ton sang[1] :
Ah ! tu me connois mieux, cher époux.

PERTHARITE.

Ah ! tu me connois mieux, cher époux.Non, Madame,
Il ne faut point souffrir ce scrupule en votre âme.
Quand ces devoirs communs ont d’importunes lois,
La majesté du trône en dispense les rois :
1475Leur gloire est au-dessus des règles ordinaires,
Et cet honneur n’est beau que pour les cœurs vulgaires.
Sitôt qu’un roi vaincu tombe aux mains du vainqueur,
Il a trop mérité la dernière rigueur.
Ma mort pour Grimoald ne peut avoir de crime :
1480Le soin de s’affermir lui rend tout légitime.
Quand j’aurai dans ses fers cessé de respirer,
Donnez-lui votre main, sans rien considérer :
épargnez les efforts d’une impuissante haine,
Et permettez au ciel de vous faire encore reine.

RODELINDE.

épargnez-moi, Seigneur, ce cruel sentiment.
Vous qui savez…

  1. Var. Jusqu’à baiser la main fumante de ton sang !
    Ah ! tu me connois mieux, cher époux, ou peut-être,
    Pour t’avoir méconnu, tu me veux méconnoître.
    Mais c’est trop te venger d’un premier mouvement
    Que ma gloire (a)… (1653-56)

    (a) La scène finit là dans les éditions indiquées.