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Laissons-les seuls, Unulphe, et demeure à la porte ;
1380Qu’avant que je l’ordonne aucun n’entre ni sorte.


Scène V.

PERTHARITE, RODELINDE.
PERTHARITE.

Madame, vous voyez où l’amour m’a conduit.
J’ai su que de ma mort il couroit un faux bruit,
Des desirs du tyran j’ai su la violence ;
J’en ai craint sur ce bruit la dernière insolence,
1385Et n’ai pu faire moins que de tout exposer,
Pour vous revoir encore et vous désabuser.
J’ai laissé hasarder à cette digne envie
Les restes languissants d’une importune vie,
À qui l’ennui mortel d’être éloigné de vous
1390Sembloit à tous moments porter les derniers coups ;
Car, je vous l’avouerai, dans l’état déplorable
Où m’abîme du sort la haine impitoyable,
Où tous mes alliés me refusent leurs bras[1],
Mon plus cuisant chagrin est de ne vous voir pas.
1395Je bénis mon destin, quelques maux qu’il m’envoie,
Puisqu’il peut consentir à ce moment de joie ;
Et bien qu’il ose encore de nouveau me trahir,
En un moment si doux je ne le puis haïr.

RODELINDE.

C’était donc peu, Seigneur, pour mon âme affligée,
1400De toute la misère où je me vois plongée ;
C’était peu des rigueurs de ma captivité,
Sans celle où votre amour vous a précipité ;
Et pour dernier outrage où son excès m’expose,

  1. Var. Où tous mes alliés me refusent leur bras. (1660-64)