Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/88

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Je recouvre la vue, et reconnois mon crime :
À mes feux rallumés ce cœur s’offre en victime ;
Oui, Princesse, et pour être à vous jusqu’au trépas,
1250Il demande un pardon qu’il ne mérite pas.
Votre propre bonté qui vous en sollicite
Obtient déjà celui de ce faux Pertharite.
Un si grand attentat blesse la majesté ;
Mais s’il est criminel, je l’ai moi-même été.
1255Faites grâce, et j’en fais ; oubliez, et j’oublie.
Il reste seulement que lui-même il publie,
Par un aveu sincère, et sans rien déguiser,
Que pour me rendre à vous il vouloit m’abuser,
Qu’il n’empruntoit ce nom que par votre ordre même.
1260Madame, assurez-vous par là mon diadème,
Et ne permettez pas que cette illusion
Aux mutins contre nous prête d’occasion.
Faites donc qu’il l’avoue, et que ma grâce offerte,
Tout imposteur qu’il est, le dérobe à sa perte ;
1265Et délivrez par là de ces troubles soudains
Le sceptre qu’avec moi je remets en vos mains.

ÉDÜIGE.

J’avais eu jusqu’ici ce respect pour ta gloire,
Qu’en te nommant tyran, j’avois peine à me croire :
Je me tenois suspecte, et sentois que mon feu
1270Faisoit de ce reproche un secret désaveu ;
Mais tu lèves le masque, et m’ôtes de scrupule.
Je ne puis plus garder ce respect ridicule ;
Et je vois clairement, le masque étant levé,
Que jamais on n’a vu tyran plus achevé.
1275Tu fais adroitement le doux et le sévère,
Afin que la sœur t’aide à massacrer le frère :
Tu fais plus, et tu veux qu’en trahissant son sort,
Lui-même il se condamne et se livre à la mort,
Comme s’il pouvoit être amoureux de la vie