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Lui demande sa grâce, et jamais ne l’obtienne :
Ce sont ses mots exprès ; et pour vous punir mieux,
Elle me veut aimer, et m’aimer à vos yeux :
Elle me l’a promis.


Scène II.

GRIMOALD, GARIBALDE, ÉDÜIGE.
ÉDÜIGE.

1195Elle me l’a promis.Je te l’ai promis, traître !
Oui, je te l’ai promis, et l’aurois fait peut-être,
Si ton âme, attachée à mes commandements,
Eût pu dans ton amour suivre mes sentiments[1].
J’avois mis mes secrets en bonne confidence !
1200Vois par là, Grimoald, quelle est ton imprudence,
Et juge, par les miens lâchement déclarés,
Comme les tiens sur lui peuvent être assurés.
Qui trahit sa maîtresse aisément fait connoître
Que sans aucun scrupule il trahiroit son maître,
1205Et que des deux côtés laissant flotter sa foi,
Son cœur n’aime en effet ni son maître ni moi.
Il a son but à part, Grimoald, prends-y garde :
Quelque dessein qu’il ait, c’est toi seul qu’il regarde.
Examine ce cœur, juges-en comme il faut.
1210Qui m’aime et me trahit aspire encore plus haut.

GARIBALDE.

Vous le voyez, Seigneur, avec quelle injustice
On me fait criminel quand je vous rends service.
Mais de quoi n’est capable un malheureux amant
Que la peur de vous perdre agite incessamment,
1215Madame ? vous voulez que le Roi vous adore,
Et pour l’en empêcher je ferois plus encore :

  1. Var. Eût pu dans son amour suivre mes sentiments. (1653-56)