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Et veux bien te prêter l’exemple de mon bras.
Fais, fais venir ce fils, qu’avec toi je l’immole.
Dégage ton serment, je tiendrai ma parole.
Il faut bien que le crime unisse à l’avenir
910Ce que trop de vertus empêchoit de s’unir.
Qui tranche du tyran[1] doit se résoudre à l’être.
Pour remplir ce grand nom as-tu besoin d’un maître,
Et faut-il qu’une mère, aux dépens de son sang,
T’apprenne à mériter cet effroyable rang ?
915N’en souffre pas la honte, et prends toute la gloire
Que cet illustre effort attache à ta mémoire.
Fais voir à tes flatteurs, qui te font trop oser,
Que tu sais mieux que moi l’art de tyranniser ;
Et par une action aux seuls tyrans permise,
920Deviens le vrai tyran de qui te tyrannise.
À ce prix je me donne, à ce prix je me rends ;
Ou si tu l’aimes mieux, à ce prix je me vends,
Et consens à ce prix que ton amour m’obtienne,
Puisqu’il souille ta gloire aussi bien que la mienne.

GRIMOALD.

925Garibalde, est-ce là ce que tu m’avois dit ?

GARIBALDE.

Avec votre jalouse elle a changé d’esprit ;
Et je l’avois laissée à l’hymen toute prête,
Sans que son déplaisir menaçât que ma tête.
Mais ces fureurs enfin ne sont qu’illusion,
930Pour vous donner, Seigneur, quelque confusion ;
Ne vous étonnez point, vous l’en verrez dédire.

GRIMOALD.

Vous l’ordonnez, Madame, et je dois y souscrire :
J’en ferai ma victime, et ne suis point jaloux
De vous voir sur ce fils porter les premiers coups.

  1. L’édition de 1682 porte seule : « Qui tranche de tyran. »