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Scène III.

GRIMOALD, RODELINDE, GARIBALDE[1].
RODELINDE.

855Je me rends, Grimoald, mais non pas à la force :
Le titre que tu prends m’est une douce amorce,
Et s’empare si bien de mon affection,
Qu’elle ne veut de toi qu’une condition :
Si je n’ai pu t’aimer et juste et magnanime,
860Quand tu deviens tyran je t’aime dans le crime ;
Et pour moi ton hymen est un souverain bien,
S’il rend ton nom infâme aussi bien que le mien.

GRIMOALD.

Que j’aimerai, Madame, une telle infamie
Qui vous fera cesser d’être mon ennemie !
865Achevez, achevez, et sachons à quel prix
Je puis mettre une borne à de si longs mépris :
Je ne veux qu’une grâce, et disposez du reste.
Je crains pour Garibalde une haine funeste,
Je la crains pour Unulphe : à cela près, parlez.

RODELINDE.

870Va, porte cette crainte à des cœurs ravalés ;
Je ne m’abaisse point aux foiblesses des femmes
Jusques à me venger de ces petites âmes.
Si leurs mauvais conseils me forcent de régner,
Je les en dois haïr, et sais les dédaigner.
875Le ciel, qui punit tout, choisira pour leur peine
Quelques moyens plus bas que cette illustre haine.
Qu’ils vivent cependant, et que leur lâcheté
À l’ombre d’un tyran trouve sa sûreté.

  1. Les éditions de 1653-56 mettent de plus UNULPHE au nombre des personnages de cette scène.