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Pour voir de deux grands rois la lâcheté punie,
J’ai dû livrer leur femme à cette ignominie :
C’est ce que méritoit leur amour conjugal ;
1790Mais j’en ai dû sauver la fille d’Asdrubal.
Leur bassesse aujourd’hui de tous deux me dégage ;
Et n’étant plus qu’à moi, je meurs toute à Carthage,
Digne sang d’un tel père, et digne de régner,
Si la rigueur du sort eut voulu m’épargner ! »
1795––À ces mots, la sueur lui montant au visage,
Les sanglots de sa voix saisissent le passage ;
Une morte pâleur s’empare de son front ;
Son orgueil s’applaudit d’un remède si prompt :
De sa haine aux abois la fierté se redouble ;
1800Elle meurt à mes yeux, mais elle meurt sans trouble,
Et soutient en mourant la pompe d’un courroux
Qui semble moins mourir que triompher de nous.

Éryxe
Le dirai-je, Seigneur ? je la plains et l’admire :
Une telle fierté méritoit un empire ;
1805Et j’aurois en sa place eu même aversion
De me voir attachée au char de Scipion.
La fortune jalouse et l’amour infidèle
Ne lui laissoient ici que son grand cœur pour elle :
Il a pris le dessus de toutes leurs rigueurs,
1810Et son dernier soupir fait honte à ses vainqueurs.

Lélius
Je dirai plus, Madame, en dépit de sa haine,