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Il m’eût été, Seigneur, et m’est encor bien doux
D’avoir pu vous connoître avant que d’être à vous.
Aussi n’attendez point de reproche ou d’injure :
810Je ne vous nommerai ni lâche, ni parjure.
Quel outrage m’a fait votre manque de foi,
De me voler un cœur qui n’étoit pas à moi ?
J’en connois le haut prix, j’en vois tout le mérite ;
Mais jamais un tel vol n’aura rien qui m’irrite,
815Et vous vivrez sans trouble en vos contentements,
S’ils n’ont à redouter que mes ressentiments.

Massinisse
J’avois assez prévu qu’il vous seroit facile
De garder dans ma perte un esprit si tranquille :
Le peu d’ardeur pour moi que vos désirs ont eu
820Doit s’accorder sans peine avec cette vertu.
Vous ayez feint d’aimer, et permis l’espérance ;
Mais cet amour traînant n’avoit que l’apparence ;
Et quand par votre hymen vous pouviez m’acquérir,
Vous m’avez renvoyé pour vaincre ou pour périr.
825J’ai vaincu par votre ordre, et vois avec surprise
Que je n’en ai pour fruit qu’une froide remise,
Et quelque espoir douteux d’obtenir votre choix
Quand nous serons chez vous l’un et l’autre en vrais rois.
––Dites-moi donc, Madame, aimiez-vous ma personne
830Ou le pompeux éclat d’une double couronne ?
Et lorsque vous prêtiez des forces à mon bras,
Étoit-ce pour unir nos mains ou nos États ?
Je vous l’ai déjà dit, que toute ma vaillance
Tient d’un si grand secours sa gloire et sa puissance.
835Je saurai m’acquitter de ce qui vous est dû,
Et je vous rendrai plus que vous n’avez perdu ;