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J’aiderai votre feinte, et ferai mon possible
Pour tromper avec vous ce monarque invincible,
Pour renvoyer chez vous les vœux qu’on vient m’offrir,
210Et n’avoir plus chez moi d’importuns à souffrir.

ÉDÜIGE.

Qui croit déjà ce bruit un tour de mon adresse,
De son effet sans doute auroit peu d’allégresse,
Et loin d’aider la feinte avec sincérité,
Pourroit fermer les yeux même à la vérité.

RODELINDE.

215Après m’avoir fait perdre époux et diadème,
C’est trop que d’attenter jusqu’à ma gloire même,
Qu’ajouter l’infamie à de si rudes coups.
Connoissez-moi, Madame, et désabusez-vous.
Je ne vous cèle point qu’ayant l’âme royale,
220L’amour du sceptre encore me fait votre rivale,
Et que je ne puis voir d’un cœur lâche et soumis
La sœur de mon époux déshériter mon fils ;
Mais que dans mes malheurs jamais je me dispose
À les vouloir finir m’unissant à leur cause,
225À remonter au trône, où vont tous mes desirs,
En épousant l’auteur de tous mes déplaisirs !
Non, non, vous présumez en vain que je m’apprête
À faire de ma main sa dernière conquête :
Unulphe peut vous dire en fidèle témoin
230Combien à me gagner il perd d’art et de soin.
Si malgré la parole et donnée et reçue,
Il cessa d’être à vous au moment qu’il m’eut vue,
Aux cendres d’un mari tous mes feux réservés
Lui rendent les mépris que vous en recevez.