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Aæte.

Hâtez à votre gré ce secours de descendre ;
Mais encore une fois gardez de vous méprendre.

Jason.

Par ce qu’ont vu vos yeux jugez ce que je puis : 2000
Tout me paroît facile en l’état où je suis ;
Et si la force enfin répond mal au courage,
Il en est parmi nous qui peuvent davantage.
Souffrez donc que l’ardeur dont je me sens brûler…



Scène IV

AÆTE, ABSYRTE, HYPSIPYLE, MÉDÉE, JASON, ORPHÉE, ZÉTHÈS, CALAÏS.
Médée, sur le dragon, élevée en l’air a la hauteur d’un homme.

Arrête, déloyal, et laisse-moi parler : 2005
Que je rende un plein lustre à ma gloire ternie
Par l’outrageux éclat que fait la calomnie.
Qui vous l’a dit, Madame, et sur quoi fondez-vous
Ces dignes visions de votre esprit jaloux ?
Si Jason entre nous met quelque différence 2010
Qui flatte malgré moi sa crédule espérance,
Faut-il sur votre exemple aussitôt présumer
Qu’on n’en peut être aimée et ne le pas aimer[1] ?
Connoissez mieux Médée, et croyez-la trop vaine
Pour vouloir d’un captif marqué d’une autre chaîne. 2015
Je ne puis empêcher qu’il vous manque de foi,
Mais je vaux bien un cœur qui n’ait aimé que moi ;
Et j’aurai soutenu des revers bien funestes

  1. Tel est le texte des éditions publiées du vivant de Corneille et de celle de 1692. Dans la première de Voltaire (1764) il s’est glissé une faute, qui a passé de là dans les impressions modernes, et qui dénature entièrement la pensée : « Qu’on en peut être aimée, etc. »