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J’aurai soin de ta gloire aussi bien que de toi. 1715
Si ce noble intérêt te donne tant d’alarmes,
Tiens, voilà de quoi vaincre et taureaux et gensdarmes ;
Laisse à tes compagnons combattre le dragon :
Ils veulent comme toi leur part à la toison ;
Et comme ainsi qu’à toi la gloire leur est chère, 1720
Ils ne sont pas ici pour te regarder faire.
Zéthès et Calaïs, ces héros emplumés,
Qu’aux routes des oiseaux leur naissance a formés,
Y préparent déjà leurs ailes enhardies
D’avoir pour coup d’essai triomphé des Harpies ; 1725
Orphée avec ses chants se promet le bonheur
D’assoupir…

Jason.

D’assoupir… Ah ! Madame, ils auront tout l’honneur,
Ou du moins j’aurai part moi-même à leur défaite,
Si je laisse comme eux la conquête imparfaite :
Il me la faut entière ; et je veux vous devoir… 1730

Médée.

Va, laisse quelque chose, ingrat, en mon pouvoir ;
J’en ai déjà trop fait pour une âme infidèle.
Adieu. Je vois ma sœur : délibère avec elle ;
Et songe qu’après tout ce cœur que je te rends,
S’il accepte un vainqueur, ne veut point de tyrans ; 1735
Que s’il aime ses fers, il hait tout esclavage ;
Qu’on perd souvent l’acquis à vouloir d’avantage ;
Qu’il faut subir la loi de qui peut obliger ;
Et que qui veut un don ne doit pas l’exiger.
Je ne te dis plus rien : va rejoindre Hypsipyle, 1740
Va reprendre auprès d’elle un destin plus tranquille ;
Ou si tu peux, volage, encor la dédaigner,
Choisis en d’autres lieux qui te fasse régner.
Je n’ai pour t’acheter sceptres ni diadèmes ;
Mais telle que je suis, crains-moi, si tu ne m’aimes. 1745