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Qu’obtiendroit ma rivale à même prix que moi.
Il est, il est encor des âmes toutes prêtes
À recevoir mes lois et grossir mes conquêtes ;
Il est encor des rois dont je fais le désir ;
Et si parmi tes Grecs il me plaît de choisir, 1655
Il en est d’attachés à ma seule personne,
Qui n’ont jamais su l’art d’être à qui plus leur donne,
Qui trop contents d’un cœur dont tu fais peu de cas,
Méritent la toison qu’ils ne demandent pas,
Et que pour toi mon âme, hélas ! trop enflammée, 1660
Auroit pu te donner, si tu m’avois aimée.

Jason.

Ah ! si le pur amour peut mériter ce don,
À qui peut-il. Madame, être dû qu’à Jason ?
Ce refus surprenant que vous m’avez vu faire,
D’une vénale ardeur n’est pas le caractère. 1665
Le trône qu’à vos yeux j’ai traité de mépris
En seroit pour tout autre un assez digne prix ;
Et rejeter pour vous l’offre d’un diadème,
Si ce n’est vous aimer, j’ignore comme on aime.
Je ne me défends point d’une civilité 1670
Que du bandeau royal vouloit la majesté.
Abandonnant pour vous une reine si belle,
J’ai poussé par pitié quelques soupirs vers elle :
J’ai voulu qu’elle eût lieu de se dire en secret
Que je change par force et la quitte à regret ; 1675
Que satisfaite ainsi de mon propre mérite,
Elle se consolât de tout ce qui l’irrite ;
Et que l’appas flatteur de cette illusion
La vengeât un moment de sa confusion.
Mais quel crime ont commis ces compliments frivoles ? 1680
Des paroles enfin ne sont que des paroles ;
Et quiconque possède un cœur comme le mien
Doit se mettre au-dessus d’un pareil entretien