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J’envisage à quels maux expose[1] un inconstant :
L’amour tremble à regret dans mon esprit flottant ;
Et timide à l’aimer, je meurs d’en être aimée.
Ainsi j’adore et crains son manquement de foi ;
Je m’offre et me refuse à ce que je prévoi : 1495
Son change me plaît et m’étonne.
Dans l’espoir le plus doux j’ai tout à soupçonner ;
Et bien que tout mon cœur obstinément se donne,
Ma raison n’ose me donner.

Silence, raison importune ; 1500
Est-il temps de parler quand mon cœur s’est donné ?
Du bien que tu lui veux ce lâche est si gêné,
Que ton meilleur avis lui tient lieu d’infortune.
Ce que tu mets d’obstacle à ses désirs mutins
Anime leur révolte et le livre aux destins, 1505
Contre qui tu prends sa défense :
Ton effort odieux ne sert qu’à les hâter ;
Et ton cruel secours lui porte par avance
Tous les maux qu’il doit redouter.

Parle toutefois pour sa gloire ; 1510
Donne encor quelques lois à qui te fait la loi :
Tyrannise un tyran qui triomphe de toi,
Et par un faux trophée usurpe sa victoire.
S’il est vrai que l’amour te vole tout mon cœur,
Exile de mes yeux cet insolent vainqueur, 1515
Dérobe-lui tout mon visage :
Et si mon âme cède à mes feux trop ardents[2],

  1. Tel est le texte de toutes les éditions publiées du vivant de Corneille. Thomas Corneille (1692) a mis : « s’expose ; » et Voltaire (1764) : « j’expose. »
  2. Var. Et si mon âme cède à des feux trop ardents. (1661-64)
    Voltaire a adopté cette variante.