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Qu’on regarde sa mort comme un digne supplice.
Non que je la souhaite : il s’est vu trop aimé
Pour n’en présumer pas votre esprit alarmé ; 1435
Je ne veux pas non plus chercher jusqu’en votre âme
Les sentiments qu’y laisse une si belle flamme :
Arrêtez seulement ce héros sous vos lois,
Et disposez sans moi du reste, à votre choix.
S’il doit mourir, qu’il meure en amant infidèle ; 1440
S’il doit vivre, qu’il vive en esclave rebelle,
Et qu’on n’aye aucun lieu, dans l’un ni l’autre sort,
Ni de l’aimer vivant, ni de le plaindre mort.
C’est ce que je demande à cette amitié pure
Qu’avec le jour pour moi vous donna la nature. 1445

Médée.

Puis-je m’en faire aimer sans l’aimer à mon tour,
Et pour un cœur sans foi me souffrir de l’amour ?
Puis-je l’aimer, mon frère, au moment qu’il n’aspire
Qu’à ce trésor fatal dont dépend votre empire ?
Ou si par nos taureaux il se fait déchirer, 1450
Voulez-vous que je l’aime, afin de le pleurer ?

Absyrte.

Aimez, ou n’aimez pas, il suffit qu’il vous aime ;
Et quant à ces périls pour notre diadème,
Je ne suis pas de ceux dont le crédule esprit
S’attache avec scrupule à ce qu’on leur prédit. 1455
Je sais qu’on n’entend point de telles prophéties
Qu’après que par l’effet elles sont éclaircies ;
Et que quoi qu’il en soit, le sceptre de Lemnos
A de quoi réparer la perte de Colchos.
Ces climats désolés où même la nature 1460
Ne tient que de votre art ce qu’elle a de verdure,
Où nos plus beaux jardins n’ont ni roses ni lis
Dont par votre savoir ils ne soient embellis,
Sont-ils à comparer à ces charmantes îles