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Hypsipyle.

Vous en pouvez juger par sa prompte retraite.

Médée.

Elle marque le trouble où son cœur est réduit ;
Mais j’ignore, après tout, s’il vous quitte ou me fuit.

Hypsipyle.

Vous pouvez donc, Madame, ignorer quelque chose ? 1280

Médée.

Je sais que, s’il me fuit, vous en êtes la cause.

Hypsipyle.

Moi, je n’en sais pas tant ; mai j’avoue entre nous
Que s’il faut qu’il me quitte, il a besoin de vous.

Médée.

Ce que vous en pensez me donne peu d’alarmes.

Hypsipyle.

Je n’ai que des attraits, et vous avez des charmes. 1285

Médée.

C’est beaucoup en amour que de savoir charmer[1].

Hypsipyle.

Et c’est beaucoup aussi que de se faire aimer.

Médée.

Si vous en avez l’art, j’ai celui d’y contraindre.

Hypsipyle.

À faute d’être aimée, on peut se faire craindre.

Médée.

Il vous aima jadis ?

  1. Voltaire, dans sa Préface de la Toison d’or, après avoir cité les vers du deuxième chant de l’Art poétique, où Boileau reproche à la tragédie d’avoir fait des pointes « ses plus chères délices, » ajoute : « Il y a… quelques jeux de mots dans Corneille, mais ils sont rares. Le plus remarquable est celui d’Hypsipyle, qui, dans la ive scène du IIIe acte, dit à Médée, sa rivale, en faisant allusion à sa magie :
    Je n’ai que des attraits, et vous avez des charmes.
    Médée lui répond :
    C’est beaucoup en amour que de savoir charmer. »