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Et cet aveu d’un crime où le destin m’attache 1220
Grossit l’indignité des remords que je cache.
Pour me les épargner, vous voyez qu’en ces lieux
Je fuis votre présence, et j’évite vos yeux.
L’amour vous montre aux miens toujours charmante et belle ;
Chaque moment allume une flamme nouvelle ; 1225
Mais ce qui de mon cœur fait les plus chers désirs,
De mon change forcé fait tous les déplaisirs ;
Et dans l’affreux supplice où me tient votre vue,
Chaque coup d’œil me perce, et chaque instant me tue.
Vos bontés n’ont pour moi que des traits rigoureux : 1230
Plus je me vois aimé, plus je suis malheureux ;
Plus vous me faites voir d’amour et de mérite,
Plus vous haussez le prix des trésors que je quitte ;
Et l’excès de ma perte allume une fureur
Qui me donne moi-même à moi-même en horreur. 1235
Laissez-moi m’affranchir de la secrète rage
D’être en dépit de moi déloyal et volage ;
Et puisqu’ici le ciel vous offre un autre époux
D’un rang pareil au vôtre, et plus digne de vous,
Ne vous obstinez point à gêner une vie 1240
Que de tant de malheurs vous voyez poursuivie.
Oubliez un ingrat qui jusques au trépas,
Tout ingrat qu’il paroît, ne vous oubliera pas :
Apprenez à quitter un lâche qui vous quitte.

Hypsipyle.

Tu te confesses lâche, et veux que je t’imite ; 1245
Et quand tu fais effort pour te justifier,
Tu veux que je t’oublie, et ne peux m’oublier !
Je vois ton artifice et ce que tu médites ;
Tu veux me conserver alors que tu me quittes ;
Et par les attentats d’un flatteur entretien 1250
Me dérober ton cœur, et retenir le mien :
Tu veux que je te perde, et que je te regrette,