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Médée.

Madame, si jamais… Ne dis rien, téméraire.
Tu ne savois que trop quel choix pouvoit me plaire.
Celui de la toison m’a fait voir tes mépris : 555
Tu la veux, tu l’auras ; mais apprends à quel prix.
Pour voir cette dépouille au dieu Mars consacrée,
À tous dans sa forêt il permet libre entrée ;
Mais pour la conquérir qui s’ose hasarder
Trouve un affreux dragon commis à la garder. 560
Rien n’échappe à sa vue, et le sommeil sans force
Fait avec sa paupière un éternel divorce.
Le combat contre lui ne te sera permis
Qu’après deux fiers taureaux par ta valeur soumis ;
Leurs yeux sont tout de flamme, et leur brûlante haleine[1] 565
D’un long embrasement couvre toute la plaine.
Va leur faire souffrir le joug et l’aiguillon.
Ouvrir du champ de Mars le funeste sillon :
C’est ce qu’il te faut faire, et dans ce champ horrible
Jeter une semence encore plus terrible, 570
Qui soudain produira des escadrons armés
Contre la même main qui les aura semés.
Tous, sitôt qu’ils naîtront, en voudront à ta vie :
Je vais moi-même à tous redoubler leur furie.
Juge par là, Jason, de la gloire où tu cours, 575
Et cherche où tu pourras des bras et du secours.



Scène V

JASON, PÉLÉE, IPHITE, ORPHÉE, Argonautes.
Jason.

Amis, voilà l’effet de votre impatience.

  1. Var. Leurs yeux sont tous de flamme, et leur brûlante haleine. (1661 et 63)