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Laissez-moi me flatter de cette triste joie
Que si je ne mourais vous en seriez la proie,
Et que ce sang aimé que répandront mes mains,
Sera versé pour vous plus que pour les Thébains.
Des dieux mal obéis la majesté suprême
Pourrait en ce moment s’en venger sur vous-même ;
Et j’aurais cette honte, en ce funeste sort,
D’avoir prêté mon crime à faire votre mort.


Thésée.

Et ce cœur généreux me condamne à la honte
De voir que ma princesse en amour me surmonte,
Et de n’obéir pas à cette aimable loi
De mourir avec vous quand vous mourez pour moi !
Pour moi, comme pour vous, soyez plus magnanime :
Voyez mieux qu’il y va même de votre estime,
Que le choix d’un amant si peu digne de vous
Souillerait cet honneur qui vous semble si doux,
Et que de ma princesse on dirait d’âge en âge
Qu’elle eut de mauvais yeux pour un si grand courage.


Dircé.

Mais, seigneur, je vous sauve en courant au trépas ;
Et mourant avec moi vous ne me sauvez pas.


Thésée.

La gloire de ma mort n’en deviendra pas moindre ;
Si ce n’est vous sauver, ce sera vous rejoindre :
Séparer deux amants, c’est tous deux les punir ;
Et dans le tombeau même il est doux de s’unir.


Dircé.

Que vous m’êtes cruel de jeter dans mon âme
Un si honteux désordre avec des traits de flamme !
Adieu, prince : vivez, je vous l’ordonne ainsi ;
La gloire de ma mort est trop douteuse ici ;
Et je hasarde trop une si noble envie
À voir l’unique objet pour qui j’aime la vie.