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Pour quiconque à des fers préfère le trépas.
Admire, peuple ingrat, qui m’as déshéritée,
Quelle vengeance en prend ta princesse irritée,
Et connais dans la fin de tes longs déplaisirs
Ta véritable reine à ses derniers soupirs.
Vois comme à tes malheurs je suis toute asservie :
L’un m’a coûté mon trône, et l’autre veut ma vie.
Tu t’es sauvé du Sphinx aux dépens de mon rang ;
Sauve-toi de la peste aux dépens de mon sang.
Mais après avoir vu dans la fin de ta peine
Que pour toi le trépas semble doux à ta reine,
Fais-toi de son exemple une adorable loi :
Il est encor plus doux de mourir pour son roi.


Mégare.

Madame, aurait-on cru que cette ombre d’un père,
D’un roi dont vous tenez la mémoire si chère,
Dans votre injuste perte eût pris tant d’intérêt
Qu’elle vînt elle-même en prononcer l’arrêt ?


Dircé.

N’appelle point injuste un trépas légitime :
Si j’ai causé sa mort, puis-je vivre sans crime ?


Nérine.

Vous, madame ?


Dircé.

Oui, Nérine ; et tu l’as pu savoir.
L’amour qu’il me portait eut sur lui tel pouvoir,
Qu’il voulut sur mon sort faire parler l’oracle ;
Mais comme à ce dessein la reine mit obstacle,
De peur que cette voix des destins ennemis
Ne fût aussi funeste à la fille qu’au fils,
Il se déroba d’elle, ou plutôt prit la fuite,
Sans vouloir que Phorbas et Nicandre pour suite.