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ÉDÜIGE.

Et…S’il quitte sans feinte un objet si chéri,
Sans doute au fond de l’âme il connoît son mari.
Mais s’il le connoissoit, en dépit de ce traître,
1520Qui pourroit l’empêcher de le faire paroître ?

UNULPHE.

Sur le trône conquis il craint quelque attentat,
Et ne le méconnoît que par raison d’État.
C’est un aveuglement qu’il a cru nécessaire ;
Et comme Garibalde animoit sa colère,
1525De ses mauvais conseils sans cesse combattu,
Il donnoit lieu de craindre enfin pour sa vertu.
Mais, Madame, il n’est plus en état de le croire.
Je n’ai pu voir longtemps ce péril pour sa gloire.
Quelque fruit que le duc espère en recueillir,
1530Je viens d’ôter au Roi les moyens de faillir.
Pertharite, en un mot, n’est plus en sa puissance.
Mais ne présumez pas que j’aie eu l’imprudence
De laisser à sa fuite un libre et plein pouvoir
De se montrer au peuple et d’oser l’émouvoir.
1535Pour fuir en sûreté, je lui prête main-forte,
Ou plutôt je lui donne une fidèle escorte,
Qui sous cette couleur de lui servir d’appui,
Le met hors du royaume, et me répond de lui.
J’empêche ainsi le duc d’achever son ouvrage,
1540Et j’en donne à mon roi ma tête pour otage.
Votre bonté, Madame, en prendra quelque soin.

ÉDÜIGE.

Oui, je serai pour toi criminelle au besoin :
Je prendrai, s’il le faut, sur moi toute la faute[1].

UNULPHE.

Ou je connois fort mal une vertu si haute,

  1. Var. [Je prendrai, s’il le faut, sur moi toute la faute :]
    Dis-lui… UNULPHE. Je connois mal une vertu si haute. (1653-56)