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Sur les fantasques airs d’un rêveur de musique[1],
Et que pour donner lieu de paroître à sa voix,
De sa bigearre[2] quinte il se fasse des lois[3] ;
Qu’il ait sur chaque ton ses rimes ajustées,
Sur chaque tremblement ses syllabes comptées, 10
Et qu’une froide pointe à la fin d’un couplet
En dépit de Phébus donne à l’art un soufflet :
Enfin cette prison déplaît à son génie ;
Il ne peut rendre hommage à cette tyrannie ;
Il ne se leurre point d’animer de beaux chants, 15
Et veut pour se produire avoir la clef des champs.
C’est lorsqu’il court d’haleine[4], et qu’en pleine[5] carrière.
Quittant souvent la terre en quittant la barrière,
Puis, d’un vol élevé se cachant dans les cieux,
Il rit du désespoir de tous ses envieux. 20
Ce trait est un peu vain, Ariste, je l’avoue ;
Mais faut-il s’étonner d’un poëte qui se loue ?
Le Parnasse, autrefois dans la France adoré,
Faisoit pour ses mignons un autre âge doré,
Notre fortune enfloit du prix de nos caprices, 25
Et c’étoit une blanque[6] à de bons bénéfices ;

  1. M. Corneille avoit été prié de composer des paroles pour être mises en musique ; mais il ne voulut pas se donner cette peine. (Note de Granet.)
  2. C’est-à-dire bizarre. Bigearre est l’orthographe de l’édition originale.
  3. C’est-à-dire qu’il se conforme aux accords du musicien. Corneille, au lieu de se servir du terme général, emploie le nom d’un accord particulier.
  4. Il court d’haleine, il court sans perdre haleine, tout d’une haleine.
  5. Plaine, dans l’édition originale ; mais le sens ne demande point que cette orthographe soit conservée.
  6. « Sorte de jeu de hasard auquel on joue avec un livre où il y a des feuillets noirs et des feuillets blancs. » (Richelet, Dictionnaire françois, 1680.) — On lit banque, mais à tort, dans un grand nombre d’éditions modernes.