Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et de porter bien loin, par mes rares exploits,
La gloire de mes lis et celle de la croix.
Mon monarque, chargé de lauriers et de palmes,
Voyoit tous ses États et ses provinces calmes,
Et disposant son bras à quelque saint emploi, 15
Ne vouloit plus combattre et vaincre que pour toi.
Il t’offroit son pouvoir et sa valeur extrême ;
Mais tu veux l’obliger à te vaincre toi-même,
Et par un attentat et lâche et criminel,
Tu fais de ses faveurs un mépris solennel : 20
On voit régner le crime avec la violence,
Où doit régner la paix avecque le silence ;
On voit les assassins courir avec ardeur
Jusqu’au palais sacré de mon ambassadeur,
Porter de tous côtés leur fureur vagabonde, 25
Et violer les droits les plus sacrés du monde.
Je savois bien que Rome élevoit dans son sein
Des peuples adonnés au culte souverain,
Des héros dans la paix, des savants politiques,
Experts à démêler les affaires publiques, 30
À conseiller les rois, à régler les États ;
Mais je ne savois pas que Rome eût des soldats.
Lorsque Mars désoloit nos campagnes fertiles,
Tu maintenois tes champs et tes peuples tranquilles :
Tout le monde, agité de tant de mouvements, 35
Suivoit le triste cours de ses déréglements ;
Toi seule, dans le port, à l’abri de l’orage,
Tu voyois les écueils où nous faisions naufrage ;
Des princes irrités modérant le courroux,
Tu disposois le ciel à devenir plus doux ; 40
Et sans prendre intérêt aux passions d’un autre,
Tu gardois ton repos et tu pensois au nôtre.
Tu voyois à regret cent exploits inhumains,
Et tu levois au ciel tes innocentes mains ;
Tu recourois aux vœux quand nous courions aux armes : 45
Nous répandions du sang, tu répandois des larmes ;
Et plaignant le malheur du reste des mortels,
Tu soupirois pour eux au pied de tes autels.
Tu demandois au ciel cette paix fortunée,
Et tu me la ravis dès qu’il me l’a donnée. 50
À peine ai-je fini mes glorieux travaux,
Que tu veux m’engager à des combats nouveaux
Reine de l’univers, arbitre de la terre,