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Amant[1]. Il y avait alors en ce genre, non-seulement de fréquentes méprises, mais des fraudes volontaires et calculées. « Les pièces… qui sont rapportées ici, dit le P. Bouhours dans son Recueil de vers choisis[2], ne se donnent qu’à leurs véritables auteurs, ou du moins qu’à ceux qui passent constamment pour les avoir faites ; car on feroit scrupule d’imposer au public, à l’exemple de certaines gens qui, après avoir fait faire des pièces par je ne sais quel auteur à gages, les mettent sur la tête de quelque écrivain célèbre, pour grossir et vendre plus cher le volume de ses œuvres. »

En cherchant à éclaircir cette partie difficile de notre tâche, nous comprenions le ravissement avec lequel Madelon, dans les Précieuses ridicules[3], se promet de voir venir chez elle « tous ces Messieurs du Recueil des pièces choisies. » — « Par le moyen de ces visites spirituelles, on est instruit, ajoute-t-elle, de cent choses qu’il faut savoir de nécessité, et qui sont de l’essence du bel esprit. On apprend par là chaque jour les petites nouvelles galantes, les jolis commerces de prose ou de vers. On sait à point nommé, un tel a composé la plus jolie pièce du monde sur un tel sujet ; celui-ci a fait un madrigal sur une jouissance ; celui-là a composé des stances sur une infidélité ; Monsieur un tel écrivit hier au soir un sixain à Mademoiselle une telle, dont elle lui a envoyé la réponse ce matin sur les huit heures. » Tel est à peu près le commentaire qui nous manque et que nous ne pouvons suppléer que bien imparfaitement ; toutefois nous avons fait quelques petites découvertes de nature à nous mériter l’approbation de Madelon ; ainsi, par exemple, nous avons pu indiquer le jour et presque l’heure où Corneille a composé le Sonnet perdu au jeu qui se trouve dans la cinquième partie des Poésies choisies de Sercy. Comme on le pense bien, de tels hasards ne sont pas fréquents, mais par bonheur aussi ils ne sont guère nécessaires, et nous nous estimerons fort heureux si nous parvenons à ranger plus exactement d’après leurs dates les Poésies diverses de Corneille, à en rejeter ce qui pouvait choquer

  1. Voyez l’Appendice, no VIII.
  2. Avertissement, folio 3. — L’Achevé d’imprimer de ce Recueil du P. Bouhours est du « premier jour de juin 1693. »
  3. Scène x.