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Condé va te venger, Condé dont les regards
Portent toute Nortlinghe et Lens[1] aux champs de Mars ;
Il ranime, il soutient cette ardente noblesse
Que trop de cœur épuise ou de force ou d’adresse ;
Et son juste courroux, par de sanglants effets, 355
Dissipe les chagrins d’une trop longue paix.
L’ennemi qui recule, et ne bat qu’en retraite,
Remet au plomb volant à venger sa défaite :
On l’enfonce. Arrêtez, héros ! où courez-vous ?
Hasarder votre sang, c’est les exposer tous : 360
C’est hasarder Enguien, votre unique espérance[2],
Enguien, qui sur vos pas à pas égaux s’avance.
Tous les cœurs vont trembler à votre seul aspect ;
Mais le plomb n’a point d’yeux, et vole sans respect :

    Fulgura semotos etiam sine vulnere cædunt[3] :
    Multa oculis Norlinga et Lentia multa recursat.
    Nec jam audent conferre manum, tantum eminus imbrem
    Fatiferum ingeminant. Ah ! ne te ferrea lædat
    Tempestas ! neu te, neu tecum passibus æquis
    Currentem Enguineum tantis immitte periclis.
    Heu scelus ! infami violatur pervia glande
    Læva manus. Victas, Batavi, ne plangite ripas,
    Concisasque acies, et cæde natantia rura :
    Borbonio maduit tellus captiva cruore.

  1. Nordlingen en Bavière, Lens aujourd’hui dans le Pas-de-Calais, lieux illustrés par deux victoires du grand Condé, en 1645 et 1648.
  2. Voyez ci-dessus, p. 208, note 1. Le duc d’Enghien était fils unique du grand Condé.
    Enguien, de son hymen le seul et digne fruit,
    Par lui dès son enfance à la victoire instruit.
    (Boileau, Épitre IV, vers 135 et 136.)
  3. Au lieu de ces trois vers : Qua ruis, etc., qui n’ont pas été rendus par Corneille, on lit simplement dans l’édition de 1688 :
    Qua ruis, exanimes fugiunt sine vulnere turmæ.