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Maynard l’a chaque jour criée à haute voix : 35
Il n’est porte où pour elle il n’ait frappé cent fois ;
Mais sans en voir l’image en aucun lieu gravée,
Il est mort la cherchant, et ne l’a point trouvée[1].
J’en fais souvent reproche à ce climat heureux ;
Je m’en plains[2] aux plus grands comme aux plus généreux ;40
Pour trop m’en plaindre en vain je deviens ridicule,
Et l’on ne m’entend pas, ou l’on le dissimule.
Qu’aujourd’hui la valeur sait mal se secourir !
Que je vois de grands noms en danger de mourir !
Que de gloire à l’oubli malgré le ciel se livre, 45
Quand il m’a tant donné de quoi la faire vivre !
Le siècle a des héros, il en a même assez
Pour en faire rougir tous les siècles passés ;
Il a plus d’un César, il a plus d’un Achille ;
Mais il n’a qu’un Mécène, et n’aura qu’un Virgile[3] : 50
Rare exemple, et trop grand pour ne pas éclater,
Rare exemple, et si grand qu’on n’ose l’imiter[4].

    bleau… de la poésie française au seizième siècle… par M. Sainte-Beuve, tome II, p. 180.)

  1. Ici Corneille semble faire allusion au quatrain bien connu que Maynard avait placé sur la porte de son cabinet :
    Las d’espérer et de me plaindre
    Des Muses, des grands et du sort,
    C’est ici que j’attends la mort,
    Sans la désirer ni la craindre.
  2. Ainsi dans l’édition originale des Poésies choisies ; on trouve dans les éditions suivantes et dans toutes les autres réimpressions : « Je me plains, » qui nous paraît beaucoup moins bon.
  3. Le Mécène est Mazarin, qui, comme l’on sait, demanda à Ménage la liste des savants et des hommes de lettres qui méritaient des encouragements. Le Virgile est sans doute Chapelain, qui terminait alors son épopée de la Pucelle, et à laquelle il a, dit-on, travaillé trente ans, et qui parut en 1656.
  4. Ainsi dans la première édition ; « qu’on ne l’ose imiter » dans toutes les autres.