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nécessité de les renfermer dans un lieu et dans un jour ne nous y oblige. J’ai déjà fait voir en l’autre Discours que pour conserver l’unité de lieu, nous faisons parler souvent des personnes dans une place publique, qui vraisemblablement s’entretiendraient dans une chambre ; et je m’assure que si on racontait dans un roman ce que je fais arriver dans le Cid, dans Polyeucte, dans Pompée, ou dans le Menteur, on lui donnerait un peu plus d’un jour pour l’étendue de sa durée. L’obéissance que nous devons aux règles de l’unité de jour et de lieu nous dispense alors du vraisemblable, bien qu’elle ne nous permette pas l’impossible ; mais nous ne tombons pas toujours dans cette nécessité ; et la Suivante, Cinna, Théodore, et Nicomède, n’ont point eu besoin de s’écarter de la vraisemblance à l’égard du temps, comme ces autres poèmes.

Cette réduction de la tragédie au roman est la pierre de touche pour démêler les actions nécessaires d’avec les vraisemblables. Nous sommes gênés au théâtre par le lieu, par le temps, et par les incommodités de la représentation, qui nous empêchent d’exposer à la vue beaucoup de personnages tout à la fois, de peur que les uns ne demeurent sans action, ou troublent celle des autres. Le roman n’a aucune de ces contraintes : il donne aux actions qu’il décrit tout le loisir qu’il leur faut pour arriver ; il place ceux qu’il fait parler, agir ou rêver, dans une chambre, dans une forêt, en place publique, selon qu’il est plus à propos pour leur action particulière ; il a pour cela tout un palais, toute une ville, tout un royaume, toute la terre, où les promener ; et s’il fait arriver ou