Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/205

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incrédulité quand on la hasarde aux yeux du spectateur :

Quaecumque ostendis mihi sic, incredulus odi.

Je passe plus outre, et pour exténuer ou retrancher cette horreur dangereuse d’une action historique, je voudrais la faire arriver sans la participation du premier acteur, pour qui nous devons toujours ménager la faveur de l’auditoire. Après que Cléopâtre eut tué Séleucus, elle présenta du poison à son autre fils Antiochus, à son retour de la chasse ; et ce prince, soupçonnant ce qu’il en était, la contraignit de le prendre, et la força à s’empoisonner. Si j’eusse fait voir cette action sans y rien changer, c’eût été punir un parricide par un autre parricide ; on eût pris aversion pour Antiochus, et il a été bien plus doux de faire qu’elle-même, voyant que sa haine et sa noire perfidie allaient être découvertes, s’empoisonne dans son désespoir, à dessein d’envelopper ces deux amants dans sa perte, en leur ôtant tout sujet de défiance. Cela fait deux effets. La punition de cette impitoyable mère laisse un plus fort exemple, puisqu’elle devient un effet de la justice du ciel, et non pas de la vengeance des hommes ; d’autre côté, Antiochus ne perd rien de la compassion et de l’amitié qu’on avait pour lui, qui redoublent plutôt qu’elles ne diminuent ; et enfin l’action historique s’y trouve conservée malgré ce changement, puisque Cléopâtre périt par le même poison qu’elle présente à Antiochus.

Phocas était un tyran, et sa mort n’était pas un crime ; cependant il a été sans doute plus à propos de la faire arriver par la main d’Exupère que par celle d’Héraclius.