Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/197

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et ce qu’elle en fait naître n’est qu’une pitié empruntée d’un épisode.

Je sais que l’agnition est un grand ornement dans les tragédies : Aristote le dit ; mais il est certain qu’elle a ses incommodités. Les Italiens l’affectent en la plupart de leurs poèmes, et perdent quelquefois, par l’attachement qu’ils y ont, beaucoup d’occasions de sentiments pathétiques qui auraient des beautés plus considérables. Cela se voit manifestement en la Mort de Crispe, faite par un de leurs plus beaux esprits, Jean-Baptiste Ghirardelli, et imprimée à Rome en l’année 1653. Il n’a pas manqué d’y cacher sa naissance à Constantin, et d’en faire seulement un grand capitaine, qu’il ne reconnaît pour son fils qu’après qu’il l’a fait mourir. Toute cette pièce est si pleine d’esprit et de beaux sentiments, qu’elle eut assez d’éclat pour obliger à écrire contre son auteur, et à la censurer sitôt qu’elle parut. Mais combien cette naissance cachée sans besoin, et contre la vérité d’une histoire connue, lui a-t-elle dérobé de choses plus belles que les brillants dont il a semé cet ouvrage ! Les ressentiments, le trouble, l’irrésolution et les déplaisirs de Constantin auraient été bien autres à prononcer un arrêt de mort contre son fils que contre un soldat de fortune. L’injustice de sa préoccupation aurait été bien plus sensible à Crispe de la part d’un père que de la part d’un maître ; et la qualité de fils, augmentant la grandeur du crime qu’on lui imposait, eût en même temps augmenté la douleur d’en voir un père persuadé. Fauste même aurait eu plus de combats