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sont pas seulement le principe des actions, mais aussi du raisonnement. Un homme de bien agit et raisonne en homme de bien, un méchant agit et raisonne en méchant, et l’un et l’autre étale de diverses maximes de morale suivant cette diverse habitude. C’est donc de ces maximes, que cette habitude produit, que la tragédie peut se passer, et non pas de l’habitude même, puisqu’elle[1] est le principe des actions, et que les actions sont l’âme de la tragédie, où l’on ne doit parler qu’en agissant et pour agir. Ainsi pour expliquer ce passage d’Aristote par l’autre, nous pouvons dire que quand il parle d’une tragédie sans mœurs, il entend une tragédie où les acteurs énoncent simplement leurs sentiments, ou ne les appuient que sur des raisonnements tirés du fait, comme Cléopatre dans le second acte de Rodogune, et non pas sur des maximes de morale ou de politique, comme Rodogune dans son premier acte. Car, je le répète encore, faire un poëme de théâtre où aucun des acteurs ne soit bon ni méchant, prudent ni imprudent, cela est absolument impossible.

Après les mœurs viennent les sentiments, par où l’acteur fait connoître ce qu’il veut ou ne veut pas, en quoi il peut se contenter d’un simple témoignage de ce qu’il se propose de faire, sans le fortifier de raisonnements moraux, comme je le viens de dire. Cette partie a besoin de la rhétorique pour peindre les passions et les troubles de l’esprit, pour en consulter[2], délibérer, exagérer ou exténuer ; mais il y a cette différence pour ce regard entre le poëte dramatique et l’orateur, que celui-ci peut étaler

    οὐ ποιήσει ὃ ἦν τῆς τραγῳδίας ἔργον. (Aristote, Poétique, chap. vi, 12.)

  1. Var. (édit. de 1660-1668) : puisque elle.
  2. Var. (édit. de 1660-1668) : pour consulter.