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éclat privé, qui se perdait dans les masses populaires qui les composaient. Le peu de noblesse languedocienne, qui y restait, attachée, se maintenait dans une obscurité prudente. Elles furent poursuivies par les intendants ; elles furent condamnées par les magistrats ; elles furent ignorées par les beaux esprits. Déjà Rousseau composait ses brillants paradoxes contre l’utilité des sciences (1751), et D’Alembert appliquait la méthode de Descartes aux projets encyclopédiques de Bacon (1752) ; mais ni l’un ni l’autre ne songeaient à descendre de leurs hauteurs intellectuelles, pour s’enquérir des droits des Français persécutés. Il fallut, bien plus tard, la terrible aventure du vieux Calas pour remuer les philosophes. C’est que, d’une part, les pasteurs du désert étaient invisibles et proscrits aux yeux de la loi, et, par conséquent, obscurs et introuvables ; et que, d’autre part, ils étaient profondément religieux, ce qui les éloignait d’autant de la philosophie du jour. Nous trouverons en effet dans la correspondance des pasteurs du désert, durant le reste du siècle, des plaintes nombreuses et des remarques très-fines sur les progrès de l’esprit incrédule, qui était alors une affaire de mode irrésistible. Nous verrons même qu’ils furent un peu gênés de l’appui de Voltaire, et qu’ils craignirent d’être exposés à payer sa haute protection un peu trop cher.

Des circonstances politiques et légales, plus simples encore, expliquent cette obscurité. Il n’y avait alors en France aucun journal politique, aucune liberté de presse quelconque, ni pour les protestants, ni pour personne. De ce vaste corps, dont la surface était si brillante, aucune partie ne pouvait ressentir vivement ce qui faisait souffrir les autres régions.