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sure que le ministre captif se conduisit d’une façon si grave, si décente, si digne d’un parfait honnête homme, connaissant bien et aimant sa religion, que tous les juges en furent et stupéfaits et attendris[1]. Les souvenirs de la contrée, et les correspondances qui restent de ce temps, ne tarissent pas sur les agréments personnels, sur la politesse et sur la douceur de ce prisonnier pour l’Évangile. L’intendant Lenain, dirigé par les ordres formels de la cour, l’adjura en particulier, par le nom du Dieu devant qui il allait paraître, de lui dire la vérité, ce que le prisonnier promit de faire strictement. L’intendant posa ces questions au ministre Desubas : Les protestants ont-ils une caisse commune ? ont-ils fait un amas d’armes ? — Ne sont-ils pas en correspondance avec l’Angleterre ? — « Rien de tout cela n’est vrai, répondit le pasteur ; les ministres ne prêchent que la patience et la fidélité au roi. » — « Je le sais. Monsieur, repartit l’intendant Lenain. »

Les mémoires disent que lorsque la sentence fut

    en 1711, le tombeau du sage solitaire de Port-Royal-des-Champs, et qu’ils troublèrent ses cendres. Les restes du plus illustre de ses ancêtres avaient éprouvé la rancune sacrilège des persécuteurs.

  1. Les Mémoires de 1744 ajoutent que tous les juges pleuraient, et que l’intendant pleurait aussi. Sur quoi Antoine Court fait cette remarque : « On doute beaucoup que M. l’intendant ait versé des larmes en cette occasion ; il ne passe pas pour être si tendre : mais des lettres venues de Montpellier assuraient le fait, » p. 207. Sans doute M. l’intendant chevalier Lenain aurait bien mieux fait de pleurer moins et de ne pas envoyer au gibet un homme aussi parfaitement innocent et estimable que ce jeune ministre du désert. Mais dans l’application de ces édits abominables de Louis XIV et de Louis XV, on est encore fort heureux de trouver quelques mouvements de sensibilité chez les magistrats de ces funestes époques ; nous devons donc enregistrer ici que notre ballade populaire, qui n’est pas suspecte de flatterie pour les persécuteurs, célèbre aussi en termes naïfs la tristesse de l’intendant, obligé de signer cette sentence très-inique, quoique très-conforme aux lois (coupl. 56).