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cinq années, occupant la chaire extraordinaire de l’auditoire des nobles à LaHaye (1702 à 1730), Jacques Saurin opposa son dogmatisme arrêté et entraînant à l’influence du philosophe sceptique de Rotterdam. Ce fut sous ce rapport que Saurin rendit le plus de services au monde protestant. Il fortifia la foi que la philosophie du xviiie siècle allait bientôt attaquer de mille moyens, au sein d’une littérature catholique et des salons des encyclopédistes. Tandis que Bayle prêcha indirectement l’accommodement avec les circonstances, et qu’il essaya de mettre en relief l’obscurité égale de toutes les théologies, Saurin, au contraire, fit du dogme réformé un système de raison et de sentiment, où il tenta, par une voie tout opposée, de fournir au cœur et à l’intelligence le plus inébranlable des appuis. Partout il justifie l’exil des réfugiés ; partout il fait voir que leur résolution est sainte ; partout il recommande et supplie qu’on vienne chercher même hors de France les privilèges du culte public ; partout il exalte les malheurs des réfugiés, et partout il proclame que leur foi en vaut bien la peine. Tout cela est mitigé chez ce grand orateur, par ces douces réminiscences de la patrie absente, par ces vifs appels aux malheurs des églises, par ces mouvements tout français, qui forment pour nous aujourd’hui encore, un des plus grands charmes de sa manière.

Tous ces traits divers donnaient à son éloquence quelque chose d’exceptionnel et de particulier ; mais on voit d’un autre côté, sous un point de vue plus général, que l’illustre exilé de Nîmes avait emporté avec lui l’influence de la grande école littéraire. Par la couleur de Saurin, le siècle de Louis XIV se manifeste encore dans la chaire du réfugié de La Haye.