Page:Coquelin et Guillaumin - Dictionnaire de l’économie politique, 2.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

SAY (Jean-Baptiste). Professeur d’Économie politique au Collége de France, naquit à Lyon, le 6 janvier 1767, d’une famille protestante originaire de Nîmes, d’où elle s’était exilée vers la fin du dix-septième siècle, sous le coup de la révocation de redit de Nantes, pour s’établir à Genève.

L’intolérance contre les protestants s’étant considérablement affaiblie vers le milieu du dix-huitième siècle, Jean-Étienne Say, père de Jean-Baptiste, put se rendre à Lyon pour s’y former à la carrière du commerce, chez M. Castanet, négociant honorable de cette ville, auquel il succéda après avoir épousé l’une de ses filles.

Jean-Baptiste Say reçut de bonne heure, par les soins de son père, qui était un homme sensé, des idées justes et positives, et les leçons de professeurs et de savants distingués ; mais quelques alternatives de fortune vinrent interrompre cette éducation ; le jeune Say dut suivre sa famille à Paris et quitter le pensionnat pour le comptoir. Il obtint plus tard d’aller, en compagnie de son frère Horace, achever ses études commerciales en Angleterre, où les deux jeunes gens vinrent se mettre en pension à quelques milles de Londres, dans le village de Croydon.

Après un second noviciat commercial à Londres, Jean-Baptiste Say, ayant vu mourir son nouveau patron, qu’il avait accompagné à Bordeaux, rentra dans sa famille, conservant une impression profonde de son séjour en Angleterre, et ayant déjà acquis, sur les hommes et sur les choses, une expérience que la solidité de son esprit devait rendre féconde. Le vœu de son père et les traditions de sa famille le poussaient vers le commerce ou l’industrie ; son propre goût l’entrainait du côté des lettres. Il hésita quelque temps, puis, cédant à l’influence paternelle, tout en faisant ses réserves, il devint employé dans une compagnie d’assurances sur la vie, dont Clavière, qui fut plus tard ministre, était alors l’administrateur-gérant. Clavière possédait un exemplaire de la Richesse des nations, d’Adam Smith, qu’aucune traduction n’avait encore fait connaître en France ; sur son conseil, Jean-Baptiste Say lut le livre qui lui révéla sa vocation : il était Économiste. Bientôt il en fit venir un exemplaire de Londres, l’étudia, l’annota, et dès lors ne s’en sépara plus. C’est ainsi qu’il s’identifia avec la science dont il devait être l’un des principaux fondateurs et le propagateur le plus illustre.

Employé ensuite dans les bureaux du Courrier de Provence, que publiait Mirabeau, il se lia avec quelques-uns des hommes de mérite de l’époque. Il fit, comme volontaire, la campagne de 1792, en Champagne, et, à peine de retour de l’armée, le 25 mai 1793, il épousa mademoiselle Deloche, fille d’un avocat aux conseils. Cette union, qui devait être pour lui une source constante de félicité, fut contractée au plus fort de la terreur, au moment même où la petite fortune des deux familles allait se trouver compromise et presque emportée par la dépréciation du papier-monnaie. Le jeune ménage se plaça à la campagne, et il projetait de fonder une maison d’éducation, lorsque quelques littérateurs vinrent proposer à Jean-Baptiste Say de prendre la rédaction en chef d’un recueil périodique destiné à relever en France le culte du bon goût et d’une saine philosophie. L’offre ainsi faite, par Ginguéné et par Andrieux, fut acceptée, et le premier numéro de la Décade philosophique, littéraire et politique, par une société de républicains, parut le 29 avril 1794. Le succès de cette revue, dont la collection forme quarante-deux volumes, fut principalement dû à l’activité persévérante du rédacteur en chef. Il savait obtenir la collaboration fréquente des hommes les plus éminents dans les diverses branches des sciences et de la littérature ; il se chargeait ensuite de compléter chaque numéro par ses propres articles sur l’Économie politique, et par une série d’études de mœurs.

Au nombre des rédacteurs de la Décade se trouvait aussi ce frère, compagnon du voyage en Angleterre. Horace Say avait suivi la carrière des sciences, et s’était fait admettre dans l’arme du génie ; il coopéra à l’organisation de l’école polytechnique, où il fut chargé de professer l’art des fortifications. Parti avec le grade de capitaine pour l’expédition d’Égypte, il fut promu par le général Bonaparte au grade de chef de bataillon du génie pour s’être couvert de gloire au siège d’Alexandrie. Membre de l’Institut d’Égypte, il lui fournissait des mémoires scientifiques en même temps qu’il présidait à des travaux de fortification. Horace Say eut le bras emporté au siège de Saint-Jean-d’Acre, et succomba aux suites de sa blessure.

Cette porte fut un coup cruel pour Jean-Baptiste Say ; il lui restait un frère plus jeune, M. Louis Say, qu’il avait attiré près de lui, mais qui devait le quitter bientôt pour suivre la carrière commerciale.

Au mois de novembre 1799, Jean-Baptiste Say fut nommé membre du tribunat, et abandonna dès lors la direction de la Décade philosophique. Il fut attaché au comité des finances. On peut se faire une idée des principes qu’il professait déjà en cette matière, par ces paroles, extraits de l’un de ses discours : « On doit à l’assemblée constituante d’avoir combattu le génie fiscal qui dominait en France avant elle, et dont la déplorable habileté consiste, non à réduire les dépenses au taux du strict nécessaire, mais à porter les charges aussi loin qu’elles peuvent aller[1]. » De semblables tendances ne pouvaient guère se concilier avec le régime administratif et financier que voulait alors établir l’homme puissant qui gouvernait le pays, et elles rangèrent bientôt Jean-Baptiste Say, d’ailleurs doué d’un caractère ferme et indépendant, dans cette opposition courageuse qui résista aussi longtemps qu’elle le put au rétablissement des anciens abus et aux atteintes portées à la liberté, opposition qu’il fut facile de supprimer en l’éliminant du tribunat, mais dont on regretta plus tard de n’avoir pas écouté les avis.

Un opuscule publié par J.-B. Say, en l’an VIII, sous le titre de Olbie ou Essai sur les moyens d’améliorer les mœurs d’une nation, et rédigé à l’occasion d’un concours ouvert par l’Académie des sciences morales et politiques, fut le précurseur du Traité d’Économie politique, qui parut

  1. Voir volume d’Œuvres diverses, édition Guillaumin, page 199.