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commençâmes toujours par mettre le vent dans nos voiles ; il ne pouvait en résulter aucun inconvénient, et nous pouvions, au contraire, en retirer de grands avantages. Je n’avais jamais supposé un moment que ce fût après nous que les Anglais envoyaient des embarcations, puisque, avec le vent qu’il faisait, l’Aurore n’aurait pas tardé à les laisser de plusieurs milles en arrière. Chaque minute rendait ma conjecture de plus en plus vraisemblable : on ne pouvait se méprendre aux efforts énergiques que faisaient également les hommes des deux équipages. Cependant la frégate ne pouvait plus tirer, les deux canots se trouvant exactement sur la même ligne, de sorte que l’un eût couru tout autant de dangers que l’autre.

Il est rare qu’un combat naval s’engage sans que les bâtiments mettent une ou deux embarcations à la mer, et, quand l’action est chaude, sans que ces embarcations aient plus ou moins à souffrir. Il arrive souvent qu’une frégate n’a qu’un ou deux canots qui puissent tenir l’eau après une affaire, et, la plupart du temps, elle n’a que celui qu’elle a eu la précaution de mettre à la mer avant d’en venir aux mains. C’est ce qui explique pourquoi, dans l’occasion actuelle, une seule embarcation s’était mise à la poursuite des fugitifs.

L’Aurore arbora son pavillon pour montrer que nous voyions nos pauvres amis qui nageaient à tour de bras pour nous rejoindre ; puis elle éventa son grand hunier, brassa carré, et se dirigea droit vers les fugitifs. Nous n’étions que trois aux bras de la grande vergue ; mais chacun de nous semblait avoir la force d’un géant. Que de motifs, en effet, pour exciter notre ardeur ! De quel secours ne nous seraient pas les sept hommes qui venaient à nous, qui étaient des nôtres, et qui nous mettraient à même de conduire notre bâtiment droit à Hambourg !

Notre bon navire se conduisit à merveille : Neb était à la barre, le cuisinier sur le gaillard d’avant, et Marbre et moi nous tenions des cordes à la main pour les jeter aux fugitifs dès qu’ils seraient assez près pour les recevoir. Il était temps que nous arrivassions, car le cutter, qui avait dix avirons et un équipage complet, s’approchait de plus en plus du canot. Comme nous l’apprîmes ensuite, nos gens, dans la précipitation du départ, avaient embarqué le sommet d’une lame, et ils éprouvaient le grand désavantage d’avoir plus d’un baril d’eau, qui ballottait au fond de leur cutter et le rendait plus lourd et plus difficile à gouverner.