Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reculer lorsque Neb venait de démontrer clairement que ce n’était pas une si grande affaire de marcher sur le gui ; et ensuite le dépit du patron d’Albany qui, piqué de voir que nous le devancions, et croyant qu’André passait sur notre bord, parce que nous allions plus vite, s’en vengea en s’éloignant à cent verges de nous. Je vis qu’il ne restait qu’un seul parti à prendre, et je l’adoptai sur-le-champ,

— Tenez-vous bien à la balancine, monsieur Drewett. Je vais faire rentrer le gui à bord, et alors il vous sera facile de descendre sur notre couronnement.

Mais Drewett me supplia de n’en rien faire. Il s’accoutumait à sa position, et dans une minute il prendrait son élan, à la manière de Neb. Tout ce qu’il demandait, c’était de n’être point pressé.

— Non, non, ne dérangez rien, capitaine Wallingford, dit-il vivement. Ce que ce nègre a fait, je saurai bien le faire.

— Mais ce nègre a des serres pour étreindre, et puis il est matelot et habitué à ces sortes d’exercices ; il a les pieds nus en outre, tandis que vous avez des bottes minces et glissantes.

— Oui, c’est bien ce qui me gêne. Quoi qu’il en soit, j’espère m’en tirer à mon honneur, et pouvoir aller saluer miss Hardinge sans avoir besoin d’être aidé.

M. Hardinge intervint, mais je vis que toutes les remontrances seraient inutiles. Drewett était piqué au jeu, et il était évident qu’il allait se mettre en marche. — Ne le laissez pas avancer, me dit Lucie d’une voix suppliante ; je lui ai entendu dire qu’il ne sait pas nager.

Il était trop tard. L’orgueil, la vanité, l’entêtement, l’amour, le rendirent sourd à toutes les instances, et il partit, abandonnant la balancine, son unique point d’appui. Il ne l’eut pas plutôt lâchée que je vis qu’il n’atteindrait jamais le mât, et je pris mes dispositions en conséquence. Je dis à Marbre de parer à lofer ; et ces paroles étaient à peine sorties de mes lèvres, que le plongeon était fait. À la manière désordonnée dont Drewett se démenait dans l’eau, je vis sur-le-champ que Lucie ne s’était pas trompée, et que le malheureux ne savait pas nager. J’étais en veste, en pantalon de toile, et en escarpins de marin ; posant donc un pied sur la lisse du plat-bord, je m’élançai à l’eau, au moment où il enfonçait. J’attendis qu’il reparût sur l’eau, ce qui ne pouvait tarder, et alors je le saisis par les cheveux pour tâcher de le retourner sur le dos, et de présenter sa figure à l’air. En ce moment, le Wallingford s’éloignait de nous, Marbre ayant mis aussitôt la barre dessous, afin de tourner autour du point où nous étions. J’appris ensuite que, dès que le patron de l’Orphée avait eu connaissance de l’accident arrivé, il s’était décidé à mettre en panne.