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caractères de beauté et de grandeur qu’aujourd’hui, était loin d’offrir un spectacle aussi animé. Le paquebot à vapeur ne se montra sur sa surface que quatre ans plus tard ; et il fallait quelquefois une semaine pour en parcourir toute l’étendue. À cette époque les passagers ne se précipitaient pas à bord, dès qu’ils entendaient sonner la cloche, se renversant les uns les autres, et se frayant un passage à travers les porteurs, les voituriers, les marchandes d’orange et les vendeurs de journaux, pour gagner une minute : on envoyait souvent son bagage un jour d’avance ; on passait la matinée à se dire adieu ; on se rendait à bord tout à son aise, presque toujours plusieurs heures avant le moment du départ, et assez souvent pour entendre annoncer que le départ était remis au lendemain. Et puis, quelle différence pendant la traversée ! on n’était pas à se coudoyer l’un l’autre pour se disputer les places, à s’arracher les morceaux, à maudire le capitaine parce qu’on n’arriverait pas à temps pour prendre tel bateau, ou tel convoi. Au contraire, chaque voyage était une sorte de partie de plaisir, chaque repas un régal, qu’on savourait à loisir. Il y avait bien quelques traversées qui s’effectuaient en vingt-quatre heures ; mais c’étaient les exceptions. Généralement on mettait une semaine à jouir des beautés du fleuve : le bâtiment n’engravait au moins une fois en chemin, et l’on perdait ainsi délicieusement un jour ou deux à visiter les environs. Je l’avoue, je suis trop franchement marin pour aimer les bateaux à vapeur, et je me surprends parfois à désirer qu’ils n’eussent jamais été inventés ; mais je sais que ce désir est contraire à tous les principes de l’économie politique, et à ce qu’on appelle le progrès des lumières. Ce dont je suis certain néanmoins, c’est que ces inventions, jointes eu pêle-mêle des tables d’hôte et de toutes ces existences devenues nomades, font, comme l’exprime un de nos écrivains, merveille pour les mœurs du peuple ; — oui, merveille en effet, et la merveille, c’est qu’elles lui en aient laissé encore quelque ombre.

Il pouvait y avoir trente voiles en vue quand le Wallingjord entra dans l’Hudson, les unes descendant le fleuve à la faveur du jusant et les autres le remontant comme nous. Une demi-douzaine de ces embarcations nous touchaient presque, et sur le pont de presque toutes celles qui se dirigeaient vers le nord se trouvaient des dames qui se rendaient évidemment aux Sources. Je dis à Marbre d’en passer aussi près que possible, afin de distraire ma pauvre sœur en appelant son attention sur les passagers que nous avions autour de nous. Le lecteur comprendra sans peine que le Wallingford, construit sous la direction d’un vieux marin, et pour son usage personnel,