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— Oui, voire fidèle Lucie qui reste à New-York, quand elle devrait être ici à veiller sur vou

— Elle ne sait pas mon état, ni ce qui le cause. C’est un secret qui n’est connu que de Dieu et de vous, Miles ; car je savais bien qu’il serait impossible d’abuser votre amitié clairvoyante.

— Et pourquoi l’affection de Lucie n’est-elle pas clairvoyante aussi ? n’a-t-elle des yeux que pour ceux qu’elle a appris si récemment à admirer ?

— Vous ne lui rendez pas justice, mon frère. Lucie ne m’a point vue depuis que je suis changée au point de pouvoir à peine me reconnaître moi-même. Une autre fois, je vous raconterai tout. Sachez seulement à présent qu’après avoir eu certaines explications avec Rupert, je suis revenue sur-le-champ ici, et que j’ai toujours caché soigneusement à Lucie le dépérissement de ma santé. Je lui écris toutes les semaines, elle me répond ; tout se passe entre nous comme par le passé. Non, non, ne blâmez pas Lucie, elle qui quitterait tout au monde, j’en suis bien sûre, pour accourir auprès de moi, si elle savait la vérité. Au contraire, elle pense sans doute que je préfère être seule dans ce moment ; car, malgré tout, il y a des choses qu’elle doit soupçonner. — Mais pardon, mon frère, je sens que j’ai trop parlé. Laissez-moi appuyer un peu ma tête sur votre poitrine.

Je restai immobile, tenant ma sœur bien-aimée dans mes bras, sans dire un seul mot. Penché sur elle, je pouvais voir de grosses larmes couler le long de ses joues amaigries ; mais elle me serrait de temps en temps la main, comme pour me dire quel bien lui faisait ma présence. Après une douzaine de minutes, la pauvre enfant épuisée tomba dans un sommeil agité que je me gardai bien d’interrompre ; j’aurais mieux aimer passer ainsi toute la nuit. Ce ne fut qu’au bout d’une grande heure que Grace releva la tête.

— Vous voyez, Miles, me dit-elle avec un de ses sourires les plus angéliques ; je suis maintenant aussi faible qu’un enfant, et je donne autant de peine. Il faudra vous y faire ; car c’est vous qui me soignerez, n’est-ce pas ? Mais, mon bon frère, avant de quitter cette chambre, il faut me faire une promesse.

— Ai-je quelque chose à vous refuser ? Et pourtant, Grace, j’y mets d’avance une condition.

— Laquelle ? Je consens à tout, avant même de la connaître.

— Eh bien ! je vous promets de ne point demander compte à Rupert de sa conduite, — de ne point le questionner, — de ne pas même lui faire de reproches, répondis-je, ajoutant sans cesse à mes