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éviter que tous les coureurs de fortune ne viennent tourner autour d’elle, et il est d’avis que nous laissions croire que la fortune doit être partagée entre nous. Vous entendez bien que je ne dirai jamais une chose pareille ; mais on peut se taire pendant quelque temps. En tout cas, ce n’est pas avec vous que je ferai jamais le moindre mystère, et j’aime mieux vous dire sur-le-champ tout ce qui en est. Je suis exécuteur testamentaire, et j’ai tant de calculs à faire, de comptes à arrêter, de signatures à donner, que ma pauvre tête a peine à s’occuper des devoirs de mon saint ministère. Savez-vous que je tremble de tomber dans l’égoïsme, mon bon Miles ? j’en tremble véritablement.

— Rassurez-vous, mon cher monsieur, je vous réponds de vous-même, — mais Grace, vous ne m’en parlez pas !

M. Hardinge changea tout à coup de figure. L’expression de joie qui l’animait fit place à un air d’abattement et de mélancolie. Quoiqu’il fût impossible d’être moins observateur que le bon ministre dans toutes les affaires ordinaires de la vie, il était évident que pour cette fois il avait pourtant remarqué quelque chose de nature à l’inquiéter.

— Ah ! Grace, répondit-il en hésitant, elle est ici, la chère enfant, toute seule, et elle n’a plus sa gaieté ni ses couleurs d’autrefois. C’est pour elle aussi que je suis charmé de votre retour. Je crains qu’elle ne soit pas bien ; il y a plus d’une semaine que je veux envoyer chercher un médecin ; mais elle s’y refuse obstinément en disant que cela n’est pas nécessaire. Lorsque je la regarde, sa beauté a un caractère qui m’effraie malgré moi, Miles. Vous connaissez Grace : elle a toujours paru appartenir au ciel plus qu’à la terre ; maintenant je crois toujours voir un séraphin qui pleure sur les péchés des hommes.

— Je crains bien que Rupert n’ait raison, et que Grace ne soit sérieusement malade.

— J’espère que non, mon enfant. Elle n’est pas à son ordinaire, il est vrai ; mais son esprit, ses pensées, toutes ses affections, si je puis dire, sont tournées vers le ciel. Il semble que la grâce ait opéré en elle d’une manière toute particulière. Elle ne lit plus que des livres de dévotion ; elle médite, et je suis sûr qu’elle est en prières, du matin au soir. Voilà pourquoi elle s’est retirée du monde, et elle refuse toutes les invitations de Lucie. Vous savez à quel point elles s’aiment ; en bien ! cependant toutes les instances sont inutiles : Grace ne veut pas aller à New-York, bien qu’elle sache que Lucie ne peut pas venir ici.