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tisfait qui semblait dire : c’est à moi que vous faites la cour indirectement en la faisant à cette jeune personne. Quant à Lucie, mon œil jaloux ne put surprendre le moindre changement dans ses manières, toujours simples, toujours naturelles. Perdu dans ma contemplation muette, j’oubliais l’univers entier, quand j’entendis une exclamation mal étouffée qui me fit tressaillir. J’étais trop près pour pouvoir me tromper : c’était la voix de Lucie. Je la regardai aussitôt ; ses yeux étaient fixés sur les miens, et elle étendait la main de mon côté avec un empressement charmant. J’avais été reconnu, et la surprise avait produit cette manifestation de l’ancienne amitié qui nous avait unis, avec tout l’abandon et toute la simplicité de nos premières années.

— Miles Wallingford ! me dit-elle dès que je me fus levé pour répondre à ses avances et que je fus assez près pour qu’elle pût me parler sans trop attirer l’attention, vous êtes arrivé, et nous n’en savions rien !

Il était clair que Rupert n’avait point parlé de mon retour et de notre rencontre dans la rue. Il en parut un peu honteux, et s’avança pour dire :

— Comment donc ai-je pu oublier de vous apprendre, Lucie, que j’avais rencontré le capitaine Wallingford, comme j’allais prendre le colonel et miss Merton. Oh ! nous avons causé longtemps ensemble, et je pourrai lui épargner la peine de répéter son histoire.

— Je puis dire néanmoins, ajoutai-je, combien je suis heureux de voir miss Hardinge si bien portante, et de pouvoir présenter mes hommages à mes anciens passagers.

Je serrai la main du major et celle d’Émilie, je saluai Drewett, je fus présenté à sa mère, et invité à venir prendre place dans la loge, attendu qu’il n’était pas très-convenable que la conversation se prolongeât de la loge au parterre. J’oubliai mes prudentes résolutions, et trois minutes après j’étais derrière Lucie… André Drewett eut la civilité de m’offrir sa place, bien que ce fût d’un air qui disait assez clairement : qu’ai-je à craindre ? c’est un patron de navire ; laissons-le un moment s’amuser ; le pauvre diable sera obligé de repartir au premier jour, et il me laissera la place libre. Du moins je crus lire ce langage dans l’expression de tous ses traits.

— Merci, monsieur Drewett, dit Lucie du ton le plus doux. Monsieur Wallingford et moi, nous sommes de vieux amis. Vous savez qu’il est le frère de Grace — Drewett inclina la tête d’une manière assez convenable — et j’ai mille choses à lui dire. Ainsi donc, Miles, venez vous mettre là, et racontez-moi tout votre voyage.

Comme la moitié des spectateurs étaient partis après la tragédie,