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— Oh ! dans ce pays-là ils ont comme nous un dédale de statuts, dans lesquels il est impossible de se reconnaître. Au milieu de tout cela le droit commun est devenu la chose la plus rare du monde. Mais, pour abréger, vous saurez que mistress Bradfort a fait un testament.

— Par lequel, je présume, elle partage également ses biens entre vous et Lucie, au grand mécontentement de miss Merton ?

— Pas tout à fait, Miles, pas tout à fait — c’était une personne si singulière, si capricieuse, que mistress Bradfort !

J’ai remarqué souvent que, quand une personne a réussi à jeter de la poudre aux yeux, et qu’elle se voit découverte, elle est très portée à accuser celui qui a été longtemps sa dupe, d’être capricieux, tandis qu’il a été tout simplement détrompé. Cependant je ne dis pas un mot, laissant Rupert patauger dans son bourbier tant qu’il le voudrait.

— Mais sa fin a été admirable, reprit-il après une pause, et édifiante au dernier degré. Elle a donc fait un testament, et dans ce testament elle laisse tout ce qu’elle possède, jusqu’aux maisons de ville et de campagne, à ma sœur.

Je fus stupéfait ! Toutes mes espérances étaient encore envolées.

— Et qui a-t-elle nommé pour exécuteur testamentaire ? demandai-je après un intervalle de silence, prévoyant ce qui arriverait infailliblement si ces fonctions étaient dévolues à Rupert.

— Mon père. Les affaires ne lui manquent pas, savez-vous bien ? Après les vôtres, viennent celles de mistress Bradfort. Par bonheur, celles-là sont toutes simples. Les maisons sont en bon état, bien situées, louées facilement ; l’argent est placé sur bonnes hypothèques ou en actions. Tout cela constitue un revenu liquide de sept mille bons dollars, toutes dépenses d’entretien ou de réparations payées.

— Et tout cela est à Lucie ! m’écriai-je avec angoisse, comme si je sentais qu’elle était plus que jamais perdue pour moi.

— Pour le moment, sans doute, quoique, voyez-vous, je ne regarde Lucie que comme dépositaire de la moitié. Vous connaissez les femmes : elles regardent tous les jeunes gens comme des prodigues, et voici le raisonnement qu’elles auront fait entre elles : Rupert est au fond un bon garçon ; mais Rupert est jeune, et il laissera couler l’argent entre ses doigts. — Eh bien, Lucie, je vais tout vous donner dans mon testament ; mais, naturellement, vous aurez soin de votre frère, et vous lui donnerez la moitié, ou même les deux tiers, comme il est l’aîné, dès que vous serez majeure, et que vous pourrez