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— Il est bien vrai, Miles, que je n’avais ni père ni mère, ni frère ni sœur, mais j’avais une patrie et des amis, quoi que j’eusse pu dire. La tablette de marbre sur laquelle j’avais été trouvé dans l’atelier me devint tout aussi chère qu’un berceau d’or peut l’être au fils d’un roi. Et puis, je pensais à vous et aux autres. Je soupirais après vous comme une mère soupire après ses enfants.

— Pauvre ami ! vous étiez bien isolé en effet !

— Dans les premiers moments, j’eus bien à m’occuper de la basse-cour ; mais au bout d’une semaine, je découvris que des poules et des cochons ne sont pas la compagnie qu’il faut à l’homme. Et puis, je m’étais figuré que je serais seul dans l’île ; mais j’éprouvai, à mes dépens, que le diable s’était mis à mes trousses. Voyez-vous, Miles, on a beau faire, il faut toujours regarder devant ou derrière soi. Devant ? je n’avais rien à voir ; derrière ? quelle consolation pouvais-je trouver à repasser mes vieux péchés ?

— Je commence à comprendre votre embarras, mon bon ami ; mais comment en êtes-vous sorti ?

— En m’en allant. Vous aviez mis la chaloupe française en parfait état ; je n’eus qu’à remplir les barils d’eau fraîche, à tuer un cochon et à le saler, à mettre à bord une provision de biscuits, et vogue la galère ! Pour les légumes, vous savez qu’il n’en manquait pas, et je n’eus qu’à choisir. Je suis sûr qu’à l’heure qu’il est, il reste encore vingt caisses de sucre en parfait état au fond de la cale du bâtiment naufragé et sur la côte. J’en ai nourri mes poules tout le temps de mon séjour.

— Ainsi donc, vous avez abandonné la propriété de la Terre de Marbre à la basse-cour ?

— Oui, Miles, et j’espère que les pauvres bêtes y vivront tranquilles. Je leur ai transmis bien et dûment tous mes droits, et je suis parti deux mois après vous.

— La traversée n’a pas dû être beaucoup plus amusante pour vous que le séjour à terre ? vous n’en étiez pas moins seul ?

— Que dites-vous ? fi ! est-ce qu’un marin est jamais seul sur mer ? est-ce qu’il n’a pas son bâtiment à surveiller ? Sur terre, c’est différent ; ne faire que généraliser nuit et jour, sans voir d’issue d’aucun côté, cela finit par porter à la tête, et on ne serait plus bon qu’à aller finir ses jours à Bedlam. Mais, sur mer, il y a toujours à faire.

— Vous étiez à douze ou quinze cents milles de toute île habitée, et c’est une grande distance à parcourir, quand on est seul ?

— Oh ! voilà que vous philosophez ! on voit bien que vous êtes maintenant propriétaire et capitaine tout à la fois. Qu’est-ce qu’une