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quille. Je reconnus bientôt qu’ils n’avaient fait que changer de batterie, et qu’ils avaient entrepris Neb, pour se mettre au courant de mes affaires. Après cela, je présume que mes lecteurs seront peu curieux d’en apprendre davantage relativement à ces personnages, qui n’eurent de rapport avec ma vie que par les inquiétudes qu’ils firent revivre dans mon esprit sur l’état des affections de Lucie ; ils réussirent à cet égard, et je fus obligé de me soumettre à leur puissance : — nous sommes tous, plus ou moins, les dupes des sots et des fripons.

J’ai anticipé un peu sur les événements, pour en finir avec les Brigham ; enfin, comme je l’ai déjà dit, favorisée par la brise, l’Aurore franchit la barre vers deux heures, et, avant le coucher du soleil, j’étais de nouveau en pleine mer.

C’était l’époque où le commerce des États-Unis était dans toute sa prospérité. L’énergie montrée par la jeune république dans ses démêlés avec la France, lui avait assuré quelque respect, quoique les tendances supposées de la nouvelle administration fussent de nature à lui faire perdre le bon vouloir de l’Angleterre. Toutefois, cette puissante nation avait fait, au mois de mars précédent, un simulacre de paix avec la France, et la grande route des nations était ouverte pour le moment à tous les pavillons indistinctement. Je n’avais donc rien à appréhender, au-delà des dangers ordinaires de l’Océan ; pour ceux-là, j’y étais préparé par une expérience de plusieurs années passées presque constamment à bord, et pendant lesquelles j’avais fait le tour de la terre.

J’étais charmé de mon bâtiment, qui était encore meilleur voilier que je ne l’avais espéré. Les dix premiers jours de notre traversée furent des plus heureux, et alors nous étions déjà au milieu de l’Océan. Je n’eus, pendant ce temps, d’autre sujet d’ennui que les éternels cancans de mes passagers. Bon gré, mal gré, il m’avait fallu apprendre les noms de la plupart des personnages marquants de Salem, et bon nombre de particularités sur leur histoire, et j’aurais vécu un an au milieu d’eux, que je ne les aurais pas mieux connus. Je commençai à me demander pourquoi cette démangeaison furibonde de la parole existait à un plus haut degré dans cette partie du monde que partout ailleurs. Il n’y avait rien de neuf dans cette disposition des habitants des petites villes au commérage, et on en retrouvait parfois des traces, même dans de grandes cités, surtout lorsqu’elles n’avaient point le ton d’une capitale. Lady Marie Wortley Montagu et Horace Walpole ont écrit aussi de ces commérages, mais avec esprit, comme il en circule parfois dans quelque cercle