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de l’Aurore fermées, l’équipage réuni ; il ne restait, en un mot, qu’à appareiller, c’est ce que je fis le jour même.

Plusieurs des matelots de la Crisis s’étaient embarqués de nouveau avec nous ; les pauvres diables avaient trouvé moyen de manger leur paie et leurs parts de prise en moins d’un mois ! Pour qui connaît l’imprévoyance ordinaire des marins, il n’y avait rien là de surprenant. Les États-Unis étant alors en paix avec toutes les puissances, Tripoli excepté, il n’était plus nécessaire que les bâtiments fussent armés. La fermentation soudaine causée par la brouille avec les Français s’était déjà calmée, et la marine militaire avait été réduite à un petit nombre de vaisseaux, construits régulièrement pour le service, tandis que le cadre des officiers avait été diminué des deux tiers. Ce n’était plus la guerre, c’était le commerce, qui allait être le but de tous nos efforts. J’avais à bord une seule pièce de six, quelques mousquets, une paire ou deux de pistolets, avec juste ce qu’il fallait de munitions pour apaiser une révolte, faire quelques signaux ou tuer quelques oiseaux de mer.

Nous mîmes à la voile le 3 juillet. Si, comme je l’ai dit, le port de New-York ne peut être comparé à la baie de Naples, pas plus qu’un canal de la Hollande à une rivière serpentant à travers de grands pâturages dans toute l’indépendance et toute la grâce de la nature, il y a pourtant des moments où il offre des traits dignes du pinceau. C’est dans un de ces instants heureux que l’Aurore leva l’ancre et se mit en route pour Bordeaux. La brise du sud était juste ce qu’il fallait pour nous permettre de gouverner le bâtiment, et nous profitâmes du reflux pour descendre le fleuve au milieu d’une flotte d’une quarantaine de voiles. C’étaient en grande partie des caboteurs ; il y avait pourtant une douzaine de brigs, partant pour des destinations différentes. Le peu d’air qu’il faisait semblait effleurer à peine la surface de l’eau, et la vaste étendue de la baie était aussi calme qu’un lac dans l’intérieur des terres par une belle matinée du printemps. Jamais je n’avais vu notre fleuve si animé : les mouvements variés des embarcations détruisaient la monotonie du paysage ; et elles étaient assez éloignées de la terre pour que la disproportion entre les mâts élevés et les rives si basses du fleuve fût moins choquante. Comme nous approchions de l’endroit où la baie se rétrécit, le vent augmenta, et les quarante voiles s’élançant à travers la passe, serrées les unes contre les autres, produisirent un effet semblable à celui du final d’une ouverture. La beauté de la matinée, le calme du paysage, les circonstances favorables dans lesquelles commençait mon voyage, au point de vue commercial, tout contribua à me faire oublier pour