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— Et pourquoi l’offre n’a-t-elle pas été acceptée ?

— Ni M. Hardinge ni Lucie ne voulurent y consentir. J’étais présente à l’entrevue dans laquelle la discussion eut lieu ; et notre excellent tuteur remercia sa cousine de ses intentions bienveillantes ; mais il déclara avec sa simplicité ordinaire que, tant qu’il vivrait, il conserverait sa fille auprès de lui, à moins que ce ne fût pour la confier aux soins d’un époux.

— Et Lucie ?

— Elle est très-attachée à mistress Bradfort, qui est au fond une excellente femme, quoique donnant un peu dans les travers du monde ; mais elle protesta de son côté, en se jetant dans les bras de sa cousine, qu’elle ne quitterait jamais son père. Je n’ai pas entendu, ajouta Grace en souriant, qu’elle ait fait comme lui une restriction en cas de mariage.

— Et comment mistress Bradfort a-t-elle reçu cet acte de résistance à ses volontés ?

— À merveille. On a fini par une transaction. M. Hardinge a consenti à ce que Lucie allât passer chaque hiver à New-York. Rupert, comme vous savez, y finit son droit, et il doit s’y établir dès qu’il sera reçu avocat.

— Et sans doute, depuis qu’on sait que Lucie doit hériter d’une partie du vieux domaine de Bleecker, ses chances de trouver un mari se sont encore accrues ?

— Lucie a trop de principes pour faire parade de ses conquêtes, même auprès de sa meilleure amie ; je ne suis donc pas dans sa confidence ; mais je me crois moralement sûre qu’elle a refusé un parti il y a deux ans, et trois l’hiver dernier.

— M. André Drewett était-il du nombre ? demandai-je avec une précipitation que je me reprochai immédiatement.

Ma vivacité étonna Grace ; elle sourit, quoiqu’il y eût quelque chose de triste dans son sourire.

— Assurément non, répondit-elle ; autrement il ne serait plus sur les rangs. Lucie est trop franche pour laisser qui que ce soit dans l’incertitude ; aussi ceux qui, j’en ai la conviction, se sont déclarés ne paraissent-ils conserver aucune espérance. Quant à M. Drewett, ses assiduités sont trop récentes pour qu’il ait pu encore être refusé. Vous savez sans doute que M. Hardinge l’a invité à venir ici ?

— Ici ? André Drewett ? et pourquoi ?

— Je l’ai entendu qui en demandait la permission à M. Hardinge : vous connaissez notre cher tuteur — la bonté, la douceur même, et d’une simplicité telle qu’il ne suppose jamais plus qu’on n’en dit ; aussi