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Grace se retira de mes bras, et me regarda attentivement, et, à ce qu’il me sembla, avec une vive anxiété. Alors, pressant affectueusement une de mes mains entre les siennes :

— Mon cher frère, vous êtes bien jeune pour parler ainsi, dit-elle avec une expression de mélancolie que je ne lui avais jamais vue, — beaucoup trop jeune pour un homme, quoique je craigne bien que nous autres femmes nous ne soyons nées que pour connaître la douleur !

Je n’eus pas la force de répondre, car je m’imaginais que Grace allait me faire quelque confidence au sujet de Rupert. Malgré la tendre affection qui existait entre ma sœur et moi, jamais nous ne nous étions dit un mot qui eût trait à nos relations respectives avec Rupert et Lucie Hardinge. Je soupçonnais depuis longtemps que Rupert, à qui les protestations ne coûtaient rien, avait ouvert son cœur à Grace il y avait plusieurs années, et je ne doutais pas qu’ils ne se fussent donné mutuellement leur foi, quoique sans doute sous quelques conditions, telles que l’approbation de M. Hardinge et la mienne ; approbations qu’ils devaient regarder comme certaines. Cependant Grace ne s’en était jamais ouverte avec moi, et mes conjectures étaient basées sur des observations personnelles. D’un autre côté, je n’avais jamais parlé à Grace de mon attachement pour Lucie. Un mois auparavant, lorsque la jalousie et la défiance n’étaient pas encore venues aiguiser mon amour, moi-même je savais à peine à quel point elle m’était chère ; car mon affection pour elle avait toujours été un sentiment si naturel, et qui paraissait participer si intimement de l’amitié d’un frère, que je n’avais jamais songé à l’analyser. C’était donc la partie la plus intime et la plus sacrée de nos cœurs qu’il s’agissait pour nous de mettre à nu dans ce moment solennel, et nous reculions l’un et l’autre devant cette révélation.

— Oh ! vous savez ce que c’est que la vie, Grace, dis-je avec une indifférence affectée, après un moment de silence ; aujourd’hui tout soleil, demain tout nuage. — Je ne me marierai probablement jamais, ma chère sœur, et vous ou vos enfants vous hériterez de Clawbonny. Alors vous ferez ce que vous voudrez de la maison. En attendant, et pour laisser au moins une trace de mon passage, je vais donner des ordres pour qu’on rassemble les matériaux nécessaires pendant mon absence, et, l’année prochaine, je ferai bâtir l’aile du sud dont nous avons tant parlé, avec trois ou quatre pièces dont nous n’aurons pas à rougir de faire les honneurs à nos amis.

— J’espère, Miles, que vous ne rougissez de rien de ce qui compose aujourd’hui Clawbonny. Pour ce qui est de vous marier, c’est