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Je croyais le piquer au vif ; mais Rupert tomba complètement de mon avis.

— Eh bien ! Miles, vous parlez d’or. Ce n’était pas ma vocation. La nature m’avait fait pour quelque chose de mieux, et j’ai trouvé ma place. Si, au lieu d’aller sur mer, vous vous étiez mis comme moi à étudier le droit, vous auriez aujourd’hui une position dans le monde.

— Je suis ravi de n’en avoir rien fait. Quel avantage aurais-je retiré d’une pareille étude ?

— Quel avantage, mon très-cher ? mais tous les avantages du monde. Ce n’est pas ici, comme en Europe, où les héritiers des grandes maisons mangent leurs revenus sans rien faire. Ici il faut faire quelque chose, et il y a très-peu de professions qui nous conviennent à nous autres. L’armée et la marine militaire ne sont rien, vous savez bien : deux ou trois régiments disséminés dans les bois, et une demi-douzaine de bâtiments. Après cela, restent les trois carrières de la théologie, du droit et de la médecine. Quant à la médecine, « jetez la médecine aux chiens, » comme dit miss Merton.

— Comment, miss Merton ? mais c’est de Shakespeare !

— Oui, et de miss Merton aussi. À propos, Miles, vos voyages sur mer ont eu cela de bon qu’ils nous ont fait connaître une créature charmante. Ses idées sur ce sujet sont aussi justes qu’un cadran solaire.

— Est-ce que miss Merton a jamais causé avec vous de ma profession, Rupert ?

— Mais oui, et à plusieurs reprises, toujours d’un ton de regret. Vous savez aussi bien que moi, Miles, qu’être marin, à moins que ce ne soit dans la marine militaire, ce n’est pas une profession distinguée.

J’éclatai de rire à cette remarque, tant elle me parut bizarre et ridicule. Je connaissais très-bien quel rang j’occupais dans la société ; je ne donnais pas dans ces vaines théories du mérite personnel, qui sont devenues si en vogue parmi nous, et je comprenais à merveille la nécessité des classifications qui existent dans toutes les réunions d’hommes, et qui, si elles entraînent quelques inconvénients dans quelques cas particuliers, ont des avantages incontestables en général. Je n’étais donc nullement disposé à exagérer mes prétentions ou à me poser en victime de l’opinion. Mais cette allégation que ma noble, ma brave profession, n’était pas une profession distinguée, me paraissait si ridicule, que je ne pus garder mon sang-froid. Toutefois, je ne tardai pas à reprendre mon sérieux.

— Écoutez-moi, Rupert, lui dis-je ; j’espère que miss Merton ne