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grave que s’il allait prononcer un sermon, il leva son verre, et dit :

— À Peggy Perott !

Peggy Perrott était une vieille fille qui allait soigner les malades pour de l’argent dans les environs de Clawbonny, et qui était laide à faire peur. Aussi ce fut un éclat de rire général.

— Vous voulez que je propose un toast, et vous vous mettez à rire quand je cherche à vous contenter ! dit M. Hardinge d’un ton moitié sérieux, moitié plaisant ; Peggy est une excellente femme, et une des plus utiles que je connaisse.

— Je m’étonne, mon cher monsieur, que vous n’ayez point développé votre toast ! m’écriai-je étourdiment.

— Et si je l’avais fait, elle n’aurait eu qu’à s’en féliciter, la pauvre fille ! mais je me suis exécuté, et c’est à votre tour, cousine.

Mistress Bradfort était veuve depuis longtemps, et elle n’en était pas à son coup d’essai en ce genre. Aussi elle porta son toast avec un calme parfait, et avec l’aplomb d’une personne qui avait la conscience d’avoir résisté à une foule de sollicitations pour changer d’état.

— À mon vieil ami, dit-elle en se soulevant comme pour être mieux vue et braver la médisance, au bon docteur Wilson !

Toute personne veuve ou non mariée devait en désigner une dans la même position, et la veuve n’avait pas dérogé à l’usage ; mais « le bon docteur Wilson » était un ministre émérite que personne ne pouvait soupçonner d’inspirer d’autre sentiment que l’amitié.

— Bon ! s’écria M. Hardinge en se frappant le front ; moi qui n’y ai pas pensé ! mistress Bradfort, vous me l’avez volé ! avec un moment de réflexion, j’aurais choisi le docteur ; car j’ai étudié avec lui, et je l’honore infiniment.

La simplicité du bon ministre excita de nouveaux rires ; nous étions tous si disposés à la gaieté ce soir-là ! Puis vint le tour de Rupert.

— À la santé de la charmante miss Winthrop, dit-il sans la moindre hésitation, et en agitant son verre d’un air qui semblait dire : qu’en pensez-vous ?

Les Winthrop étaient une famille très-respectable, du petit nombre de celles qui restaient de l’ancienne aristocratie coloniale.

— Connaissez-vous cette miss Winthrop ? demandai-je tout bas à Grace.

— Nullement ; je vais peu dans cette société. Rupert et Lucie voient beaucoup de personnes que je connais à peine.

C’était la première fois que je comprenais la différence de position