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dant ce nègre n’aurait pas osé aller le soir dans certains endroits de la ferme de Clawbonny, et rien n’aurait pu le décider à traverser seul un cimetière, même en plein soleil. C’était le mélange le plus bizarre de terreur superstitieuse et de courage héroïque.

Il était encore de bonne heure, quand les pros furent assez près pour commencer sérieusement leurs opérations. Ils débutèrent par nous envoyer une bordée d’environ douze canons, qu’ils avaient à bord. Les boulets vinrent traverser en sifflant nos mâts et nos agrès, presque dans toutes les directions ; et trois s’y arrêtèrent, quoiqu’ils ne fussent pas assez gros pour faire grand mal. Nos hommes étaient à leurs postes ; nous avions réussi à établir le service des deux batteries, mais il ne restait presque personne pour veiller aux bras et aux écoutes, et les officiers seuls n’avaient point d’occupation spéciale.

M. Merton devait sentir que sa liberté et celle de sa fille, peut-être même leurs vies, étaient à la merci d’un tout jeune homme ; cependant ses habitudes militaires de subordination étaient si profondes, qu’il ne hasarda pas même une observation. J’avais mon plan, et personne ne devait se permettre d’intervenir. C’était en avant et des deux côtés de nos bossoirs que les pros se montraient surtout en force, serrés l’un contre l’autre au nombre de vingt environ, et décidés sans doute à nous aborder, si l’occasion s’en présentait ; tandis qu’à l’arrière, ils étaient clairsemés. Les pirates avaient pris ces dispositions, dans la persuasion où ils étaient que nous continuerions à nous porter en avant.

L’ordre fut donné de carguer la grande voile et de mettre du monde sur les cargues de la brigantine. Il fallut pour cela dégarnir la batterie de tribord. Quand tout fut prêt, la barre fut mise au vent, et le bâtiment vira de bord vivement en tenant le plus près. En tournant, nous lâchâmes toute notre bordée de tribord au milieu de la foule de nos ennemis ; et la distance étant suffisante pour que la mitraille pût s’éparpiller, cette bordée fut efficace. Dès que nous fûmes orientés à l’autre bord, nous ouvrîmes un feu bien nourri à bâbord et à tribord sur toutes les embarcations qui s’approchaient trop. Les canots les plus proches virèrent de bord à leur tour pour nous donner chasse ; mais comme nous étions passés à l’arrière de plus d’un demi-mille, nous eûmes le temps de nous ouvrir un passage hors du cercle, et de forcer tous les pros qui étaient devant nous à chercher un refuge au milieu du reste de leur flottille. La manœuvre fut parfaitement exécutée ; et au bout de vingt minutes nous cessâmes notre feu. Tous nos ennemis nous restaient alors à l’ouest, et ne formaient qu’un seul