Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vent. Trop inquiet pour descendre sur le pont dans de pareilles circonstances, et bien placé pour reconnaître la position des récifs, je résolus de rester où j’étais, et de diriger en personne la marche du bâtiment à travers la passe. L’ordre avait été donné d’établir le foc et la brigantine, et de brasser les vergues de l’avant. Au bout d’une minute, la Crisis avait pris son élan, et se dirigeait d’un pas ferme vers la sortie du bassin. Comme il y avait des bancs de corail presque à fleur d’eau, je fus obligé de faire la plus grande attention aux manœuvres jusqu’au moment où entrant dans la baie extérieure, nous nous trouvâmes en grande partie à l’abri de ce danger. Je pus alors regarder autour de moi avec plus de liberté. Notre changement de position ouvrait devant nous une vue nouvelle ; mais la chaloupe ne paraissait pas.

Bientôt nous passâmes à une encâblure du bâtiment naufragé. Pour n’avoir rien à me reprocher, j’envoyai un canot dans cette direction ; mais ces recherches ne furent pas plus heureuses que les précédentes. Décidément Marbre s’était mis en mer, entièrement seul. Talcott était d’avis que notre ami, honteux de nous rejoindre, et ne pouvant se décider au dernier moment à rester dans sa solitude, s’était dirigé vers quelque île habitée. J’avais peine à le croire ; il me semblait que, dans ce cas, Marbre eût plutôt attendu que nous fussions partis ; cependant il m’était impossible de trouver une explication plus plausible.

Nous restâmes pendant plusieurs heures autour du récif. Du haut de mon observatoire, je crus une fois distinguer sur l’Océan un point noir qui ressemblait à la voile d’une chaloupe ; mais il y avait tant d’oiseaux qui voltigeaient de tous les côtés et rasaient l’eau aux rayon du soleil, que ce pouvait bien en être un. Enfin, à midi, je donnai l’ordre de brasser au vent et de pousser au large. Il fallut me faire violence, et j’avais hésité longtemps. La Crisis s’éloigna rapidement de la terre, et à deux heures, la ligne de cocotiers qui bordait l’horizon derrière nous disparut sous les vagues. À partir de ce moment, je n’espérai plus de jamais revoir Moïse Marbre ; et cette certitude hissa dans tous les cœurs une impression de tristesse qui fut longtemps à se dissiper complètement.

Le major Merton et sa fille restèrent sur la dunette presque toute la matinée ; mais le vieux militaire était trop accoutumé à la discipline pour hasarder une seule remarque. Quand nous nous réunîmes pour dîner, la conversation tomba naturellement sur la disparition de notre ancien ami.

— C’est vraiment dommage qu’une mauvaise honte ait empêché