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férée par la moitié de mes compatriotes ; et pourtant doit-on blâmer celle qui, sans rien outrer, se conforme à certaines règles de convention qui souvent constituent la grâce à nos yeux ? J’aurais voulu qu’Émilie pût prêter à Lucie un peu de son art, et lui emprunter en retour beaucoup de son naturel. La perfection, suivant moi, c’est que l’art soit si bien caché qu’on puisse le prendre pour la nature. Je ne parle que des dehors, bien entendu ; car, pour tout le reste, la nature doit reprendre tous ses droits.

Pour la beauté, tantôt je donnais la palme à Émilie, tantôt, quand mes souvenirs me reportaient à Clawbonny, au moment surtout de ma dernière visite, Lucie reprenait l’avantage. À ne considérer que le teint, les yeux, et peut-être aussi les dents, quoique celles de Lucie fussent blanches et égales, la jeune Anglaise l’emportait évidemment ; mais à voir le charmant sourire de l’Américaine, la coupe de sa figure, son pied, sa main, toute sa personne en un mot, neuf juges sur dix lui auraient donné la préférence. Un charme particulier leur était commun ; et ce charme, quoique je l’aie retrouvé au plus haut degré dans une Italienne, est surtout inhérent à la race anglo-saxonne : je veux parler de cette expression qui peint la pureté et la tendresse de la femme réunies, celle que les peintres aiment à donner aux figures d’anges, elles l’avaient l’une et l’autre à un très-haut point, et je crois qu’elles le devaient en grande partie au bleu céleste de leurs yeux. Jamais je ne me le suis figuré compatible avec des yeux noirs ou bruns, quelle que fût la beauté de la personne. Grace le possédait aussi, même peut-être à un degré supérieur ; mais Grace, il y avait près de deux ans que je ne l’avais vue, ainsi que Lucie ; et à leur âge que de changements ces deux années n’avaient-elles pas dû apporter dans leurs personnes !

Je ne pousserai pas plus loin la comparaison pour le moment, et je ne dirai rien du caractère. Ce n’est pas à vingt ans qu’on est encore un juge très-compétent dans une matière aussi grave, et la suite des événements suppléera à mon silence.

Il y avait quinze jours que nous étions en mer, quand venant à parler de la pêche des perles, je me rappelai mon trésor. Un bâtiment qui a un nombreux équipage est une espèce de Capharnaüm où presque tous les métiers se trouvent représentés. Sur les petits bâtiments, il faut des matelots ; mais les vaisseaux de guerre, les corsaires, les lettres de marque, peuvent, comme aurait dit le pauvre Marbre, généraliser un peu. Nous avions à bord de la Crisis un certain nombre d’ouvriers, de ces honnêtes artisans qui éprouvent le besoin de mettre d’eux-mêmes quelque restriction à leur liberté, et,